Nous voici vous et moi, amis lecteurs, une nouvelle fois réunis, devant ce superbe fourré de papyrus exposé bien en évidence dans la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Mardi dernier, souvenez-vous, nous avions lu la description qu'en avait donnée son inventeur, le Nantais Frédéric Cailliaud. Et j'avais mis un point final à notre rencontre en vous promettant, aujourd'hui, de tenter de comprendre la forte symbolique qui se dissimule à l'abri de ce topos iconographique de l'art funéraire, présent dès les premiers instants de la civilisation pharaonique, que sont ces végétaux nilotiques bruissant de vie.
Nous nous trouvons donc ici - chaussés de bottes, je l'espère ! - dans le biotope très spécifique des zones palustres égyptiennes. Il faut d'emblée comprendre que, dans la mythologie liée à la création du monde, les marécages symbolisaient l'image sublimée des origines, le Noun, cette eau préexistante grosse de toutes les formes de vie futures, en ce compris le démiurge lui-même. Et à partir de cette masse liquide primordiale et inorganisée serait née la civilisation : de ce véritable athanor purent sourdre absolument tous les éléments de la création.
Ces marais grouillaient tout à la fois d'animaux dangereux et malfaisants - l'hippopotame mâle et le crocodile en étant les deux principaux acteurs, comme je l'avais souligné déjà en juin 2008 -, mais aussi d'autres, parfaitement inoffensifs : dans les premiers, les Egyptiens voulurent voir la métaphore patente des puissances négatives originelles, d'où la nécéssité obvie de les éliminer qu'illustre à souhait les scènes de chasse et de pêche très souvent représentées de part et d'autre du fourré de papyrus, et je décrypterai pour vous plus particulièrement mardi prochain.
Mais, vous vous en doutez, amis lecteurs, si vous me lisez régulièrement, cette végétation luxuriante ne constituait pas qu'un simple élément esthétique des chapelles funéraires - l'art égyptien n'eut d'ailleurs jamais de finalité purement et gratuitement décorative - : non, elle matérialisait en fait un monde en devenir dans lequel s'affrontaient de multiples forces.
Il nous faut en outre savoir - la présence de semblables fourrés de papyrus dans une tombe n'étant évidemment pas le fruit d'une dilection toute personnelle d'un artiste plus particulièrement porté à dessiner végétaux et animaux aquatiques -, que c'est précisément dans cet espace-là que tout défunt, désirant s'assurer un survie idéale, se portera protagoniste de sa renaissance, se voudra le seul à régler son propre devenir post-mortem.
De sorte qu'il est absolument nécessaire à notre compréhension de maintenant considérer le sujet de ce fragment de peinture qui fit l'objet de l'irréversible geste de destruction de Frédéric Cailliaud en 1822 non plus en tant qu'élément esseulé, mais comme s'intégrant dans un ensemble pariétal précis. En effet, si parfois ces plantes servirent de toile de fond aux scènes cynégétiques, elles furent bien plus souvent comme ici représentées au centre même d'une composition antithétique dans laquelle étaient affrontées la scène de chasse au bâton de jet et celle de pêche au harpon.
L'on pourrait presque comparer ce haut fourré végétal à un miroir sans tain de chaque côté duquel s'animerait la même image du défunt, occupé à une tâche toutefois physiquement différente mais - et c'est sur ce point que je voudrais insister -, symboliquement identique : se donner les moyens de garantir la régénération nécessaire, attendue, espérée de tous ...
Il nous faut aussi être conscients que ces immenses bouquets de papyrus, même s'ils étaient susceptibles de se développer en plusieurs endroits des rives du Nil, faisaient essentiellement référence aux zones les plus marécageuses du Delta qui, sur le plan métaphorique à nouveau, évoquaient les régions chtoniennes, - entendez par là le monde souterrain -, par définition privées de lumière solaire et dans lesquelles immédiatement après son trépas se mouvait tout impétrant à une vie future ; privées de luminosité, et surtout balisées d'obstacles à nécessairement écarter.
Mais ces plantes à l'ombelle constituée d'une profusion de souples fibres verdâtres représentaient également une sorte d'allégorie de la fraîcheur, de la verdeur physique, partant, de la jeunesse éternelle ; celle, précisément, recherchée par le mort. De sorte que, conséquemment, leur présence dans cette scène ne pouvait qu'obligatoirement, par la magie de l'image, assurer au propriétaire de la tombe son propre devenir dans l'Au-delà.
J'observe et j'aime assez, par parenthèses, que ces deux termes - image et magie -, forment une parfaite anagramme : hasard heureux de notre langue, ils constituent comme un crédo, une sorte de carte de visite de l'art égyptien pour lequel une représentation n'est pas une fin en soi mais un moyen, qu'il soit d'initiation, d'envoûtement, de défense, voire de guérison ...
De sorte qu'il ne nous faut jamais perdre de vue que l'image égyptienne est utilitaire : incorporant tout être à la hiérarchie cosmique, elle se veut donc instrument de survie.
Mais revenons à notre végétation palustre.
Vous imaginez bien que telle qu'ici stylisée, si remarquablement arrondie en son sommet, jamais elle ne se présentait ainsi dans la Nature : les tiges, aussi figées, aussi statiques, tellement droites, tellement bien rangées côte à côte, ne pouvaient qu'être agitées par le vent. Et se balançant, se frottant immanquablement les unes contre les autres, elles développaient un certain bruissement qui, semble-t-il, suggérait les sons émis par un sistre, l'instrument de musique que traditionnellement jouait la déesse Hathor, - dont, soit dit en passant, le fourré de papyrus matérialise le royaume ; Hathor, symbole de charme, de grâce et de séduction féminine, partant, personnification de l'Amour, cet amour absolument nécessaire à tout défunt pour accomplir son obligatoire régénération d'après trépas.
La connotation sexuelle est donc ici flagrante !
Mais pas seulement ici ...
Ce sera précisément cette symbolique érotique au travers de maints détails présents dans la scène de chasse aux volatiles qu'après celle de la pêche, analysée dans un précédent article - (dont je me permets de vivement vous suggérer la (re)lecture) -, je m'efforcerai de vous faire découvrir la semaine prochaine, devant ce fragment de peinture provenant de la chapelle funéraire de Neferhotep, lors de notre dernière entrevue avant les vacances de Printemps.
A mardi, donc, comme d'habitude.
Même salle, même heure ?
(Debray : 1992, 31 ; Derchain : 1972, passim ; Desroches Noblecourt : 2003, 27-50 ; Germond : 2001, 100 ; 2004 : 27 ; 2008 : 218)