Broken Bells

Publié le 22 mars 2010 par Bertrand Gillet

Danger Mouse, James Mercer et la science de la pop :
Bonne nouvelle, rien ne cloche !

Les Side projects. Les super groupes. Les ambitions solos mégalos. Autant de concepts douteux dont le rock a le secret. Souvenez-vous de Traffic, géniale formation de pop folk parfumée aux patchoulis d’un psychédélisme à l’anglaise, subtilement sapé de sitar et de lignes de mellotron en pagaille converti deux ans plus tard en formation bourrée aux hormones de guitare héros et autres virtuoses célèbres sous le nom cryptique de Blind Faith. Le Destin Aveugle ne porta que trop bien son nom : dans la foulée Steve Winwood reprit les reines de Traffic, Clapton lança Derek & The Dominoes et Ginger Baker forma Ginger Baker’ Air Force. Ici le super groupe se résume à deux personnalités de la scène indé américaine, deux musiciens, deux trajectoires. D’un côté Brian Burton aka Danger Mouse, multi instrumentiste et producteur de renom au pedigree impressionnant : Gorillaz, Deltron 3030, Gnarls Barkley… De l’autre, James Mercer, leader incontesté des Shins, l’une des formations pop américaines du moment, capable de tirer la production musicale vers le haut et dont le caractère fondamental n’est plus à démontrer. Imaginez alors ces deux astres entrer en collision, ces deux galaxies croiser leurs anneaux de Saturne, leurs puissantes nébuleuses… Dans ce big bang (jamais big band) extraordinaire est née un petit miracle de pop astrale, sobre, parfaitement écrite et produite. Broken Bells fait tout bonnement figure de rêve éveillé. Un pur instant de plaisir étiré, spatial alors que le groupe, cohérent et besogneux, n’a pas opté pour ces plantureuses livraisons qui, en l’espace de trois disques, affichent toute la vacuité de leur prétention confite. Dix morceaux, ni plus ni moins. Enfin, je voulais dire, dix chansons. Au-delà des effets « in » qu’apporte Danger Mouse en laborantin mono maniaque, sons truffés de « crriiiiissssssss », de « scccrrrraaaaaiiiitttttcchh » et autres anomalies recréées, le songwriting triomphe ici. James Mercer n’est d’ailleurs pas un lampion en la matière. Les trois opus des Shins en attestent. Il peut arborer fièrement son diplôme de popitude, signé par les plus grands noms, Zombies, Beatles, Kinks, Move et consorts. Le bonhomme se veut l’heureux dépositaire de cette inestimable tradition qui nous a valu de tourner avec une rare délectation quelques superbes plages musicales. Mais revenons au projet Broken Bells. Le maître mot en fut l’efficacité. Pas de temps mort, aucune fioriture, chaque titre trouve sa place, s’assemble comme la pièce maîtresse d’un puzzle dans une harmonie, un équilibre rarement atteint. Mais ici, la perfection formelle n’est jamais désincarnée. Saisissez-vous de l’objet pour vous en convaincre : le petit poster intérieur fleure bon l’encre qui a bu. On en perçoit la force mais aussi le travail, religieux, qui a présidé à l’œuvre. Dans ce papier cartonné, on retrouve l’impossible souvenir d’une séance d’écriture, façon ping pong artistique entre James et Brian, où les idées fusent pour être aussitôt jetées comme des boulettes invisibles, vacillant au bord de la poubelle dans un ultime sursis. Cet esprit studieux qui reste l’apanage des songwriters se ressent intimement dans des chansons comme Vaporize, Trap Doors, Mongrel Heart ou encore Your Head Is On Fire. Trames complexes qui se déplient de manière stellaire sur des formats pourtant ramassés, entre trois et quatre minutes. Et je ne fais pas allusion a la prod’ qui se veut l’écrin idéal de ses couplets/refrains entêtants. La magie de Danger Mouse est d’apporter aux compos ce filtre sidéral infusant chaque morceau. Il reste cependant subordonné à la seule mélodie et c’est précisément l’enseignement de ces quarante dernières années de pop music : the fucking right melody. Réussite totale donc pour ce duo qui s’apparente cependant à un projet solo de James Mercer. Une parenthèse enchantée qui nous fait languir d’impatience devant l’éventuelle mise en chantier d’un nouvel opus des Shins. Et ce malgré les changements de line up et les ambitions de son génial géniteur. Bon, vous je ne sais pas, mais moi je me remets l’album histoire d’explorer de nouvelles dimensions de rêverie pop et de contemplation moderne.



23-03-2010 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 2220 fois | Public Ajoutez votre commentaire