Quelques rappels :
Nous avons progressivement vu jusqu'ici au sujet de l'inflation les différences entre l'inflation globale et l'inflation sous-jacente (ou centrale) qui permet de retraiter les éléments volatils comme l'énergie et l'alimentation pour comprendre les aspects temporaires ou au contraire durables du phénomène.
Par là même, on peut discerner quelle part accorder à la hausse ou la baisse des matières premières pour 'causer' une hausse du taux d'inflation ou au contraire sa décrue par exemple et voir si c'est purement passager ou non.
La notion d'inflation ressentie et le thème de l'inflation différenciée entre les individus avec le calcul de son propre taux d'inflation personnel suivant son mode de vie, ses revenus et de multiples paramètres ont également été abordés.
Enfin, alors que le débat est permanent sur la fiabilité ou la représentativité d'un panier de biens et services compilés au sein de l'indice Insee en France ou du CPI aux USA par exemple, nous avons comme autre base de référence les données d'inflation liées aux dépenses de consommation, exploitées par la Fed notamment, qui reposent sur des ventes réelles dans le calcul du PIB et collent donc plus fidèlement aux achats concrets des ménages.
Comme l'inflation en zone euro évolue autour de zéro depuis de nombreux mois, apaisant un peu l'éternel débat "inflation ou déflation ?" mais affaiblisant du même coup la visibilité pour le futur, c'est le moment de s'atteler à des aspects plus profonds pour la suite.
Nous allons en conséquence commencer à détailler ici un des déterminants de l'inflation.
Les anticipations, un déterminant primordial
Employer le terme de déterminant et non pas de cause est important. Ce n'est pas uniquement jouer sur les mots. Vous allez d'ailleurs vous rendre assez vite compte que le premier déterminant est décisif quelque soit le nom que l'on donne à la cause de l'inflation à un instant donné.
En effet, que ce soit pour l'inflation ou la déflation, le phénomène n'est reconnu en tant que tel que s'il est auto-entretenu, c'est à dire lorsque une transmission existe entre les différents éléments en place.
Il s'agit, par exemple pour le passé récent, de l'effet de second tour lors de la hausse des matières premières en 2008. J-c Trichet à la BCE redoutait une transmission de leur hausse aux salaires pour maintenir le pouvoir d'achat.
Il y en a d'autres types, comme les craintes à propos de la politique monétaire accommodante actuelle qui fait redouter l'inflation pour certains, ou au contraire pour d'autres, le fort désendettement du secteur privé qui crée une pression déflationniste qui finirait par vaincre selon eux.
Mais tout ceci est resté ou reste encore à l'état de craintes (hors cas particuliers régionaux comme en Irlande) Pour que les choses s'enclenchent véritablement et de manière large dans un sens ou dans l'autre et quels que soient les causes ou les éléments invoqués, et surtout pour devenir durable, le phénomène doit reposer sur des courroies de transmission tangibles et non seulement théoriques, avec au premier chef des anticipations, c'est à dire le rouage ou l'axe allant dans un des 2 sens possibles et qui va être un facteur d'auto-alimentation du phénomène.
Les principales banques centrales veillent à ce que l'ancrage des anticipations des agents et acteurs économiques reste solidement dans une fourchette cible pré-déterminée, variant suivant les pays, globalement proche de zéro mais pas en dessous afin de prévenir les phases d'inflation ou de déflation.
En plus des données techniques ou financières chiffrées mises en oeuvre, la politique monétaire intègre donc une dimension importante de communication vis à vis des ménages, des entreprises, des autres États, des banques, des économistes et des marchés financiers qui forment tous des anticipations sur la future tendance des prix, induisant d'éventuels changements de comportements. Ces 2 dimensions interragissent dans la réalisation de la politique des banques centrales.
Que l'un ou l'autre de ces agents ou acteurs modifient leurs anticipations et l'inflation ou la déflation pourraient voir leurs probabilités de réalisation augmenter puis être entraînées à la hausse pour durer et s'auto-entretenir en un cercle vicieux. Tout cela fait en conséquence l'objet d'un suivi précis.
Sans la compréhension de cet aspect, on ne peut répondre pleinement à "pourquoi l'inflation ?" car si on n'évalue pas ce déterminant quand bien même on en aurait justement isolé la 'cause' quelconque à la base (ou la cause première), ce serait faire l'impasse sur l'ampleur et la direction des comportements sur le terrain.
Les principaux types d'anticipations
Il existe 3 catégories d'acteurs principaux :
- les ménages et les entreprises
- les professionnels (économistes, analystes, prévisionnistes)
- les marchés financiers (les marchés de taux et leurs dérivés)
dont les anticipations sont évaluées selon 2 modes :
- soit par des enquêtes à fréquences régulières pour les 2 premières catégories d'acteurs ci-dessus qui rendent compte d'une photo de l'état d'esprit à un instant 't'
- soit par le biais des cours sur les marchés, de manière continue.
et, qui peuvent être utilisées de 2 manières essentiellement :
- en associant les indices d'inflation avec ces anticipations pour déterminer si le terrain est 'fertile' à un enchaînement nocif ou non. En confrontant par exemple ces diverses données à l'élévation des cours des matières premières ou au contraire à leur chute comme cela a été le cas alternativement depuis 2008, il est plus aisé de re-situer la hausse des prix dans son contexte d'inflation général et donc de poser un constat plus sûr.
- Ou à l'inverse, en les utilisant comme indicateur. Une ou plusieurs catégories peuvent 'renifler' de l'inflation au sein de l'économie sans pour autant qu'il y ait de cause(s) identifiée(s) clairement a priori. Cela sert de vigie en quelque sorte.
Dans le même ordre d'idée, les différences d'anticipations suivant les acteurs permet d'aider à cibler d'autres déterminants à l'oeuvre et permet de renseigner sur ses propres anticipations (le message peut être clair via des anticipations homogènes ou bien le risque de se tromper sur ses propres anticipations est plus élevé si les anticipations sont au contraire éclatées)
Après cette introduction assez théorique, place à l'examen de ces données sur un plan pratique et actuel pour les USA et l'Europe. C'est ce que nous verrons le week-end prochain dans "Quelles sont les anticipations d'inflation ?", un article qui listera notamment l'ensemble des indicateurs disponibles à ce sujet pour la zone euro.