Pomme de terre à l’origine inconnue, la Ratte du Touquet est une vieille variété, cultivée jadis dans le Lyonnais et les départements de l’Ardèche et de la Haute-Loire et qui portait de drôles de noms comme « quenelle de Lyon », « corne de bouc », « rane » ou encore « misterie ». On a retrouvé sa trace dans d’anciens traités d’horticulture des années 1870 et dans le catalogue de la maison Vilmorin en 1922. Son inscription officielle au catalogue français date de 1935.
Mais sa taille de guêpe, sa sensibilité aux maladies et son rendement pas franchement athlétique la firent tomber dans l’oubli pour quelques décennies, en dépit de sa chair ferme, ses formes sensuelles et sa délicate et atypique saveur de châtaigne.
Les « papas » de la Ratte du Touquet
Sa vraie histoire ne commence qu’au début des années 60 dans les environs du Touquet, fameuse villégiature du Pas-de-Calais. Nous sommes au cœur du pré carré traditionnel de la betterave à sucre et de la patate à frites, mais quelques producteurs vont pourtant se passionner pour ce joli tubercule.
Un jour de 1962, Jean-Marie Malmonté, de la Fédération des producteurs de plants de pommes de terre du Nord, rend visite à André Hennuyer, avec une tasse à café remplie de minuscules tubercules. André se rappelle alors à son enfance, où sa madeleine à lui était cette pomme de terre riquiqui, cabossée et à peine plus grande qu’un cornichon, et que sa maman cultivait en catimini dans le jardin familial, vendait sur les marchés de la région et lui préparait « tiède sur une tartine beurrée ».
André est alors le seul producteur de la région à pratiquer la sélection généalogique et la régénération des plants de pommes de terre. Il se prend au jeu et plante le maigre trésor sur des terres particulièrement fertiles. La tentative de résurrection manque de virer au fiasco : sur trente pieds plantés, un seul, le numéro 9, est épargné par les maladies. Heureusement, petit à petit, les plants résistent et gagnent du terrain. Dans les années 70, 30 à 40 hectares sont à nouveau plantés et d’autres agriculteurs sont attirés par cette culture.
Les trois mousquetaires
A la passion horticole d’André Hennuyer s’est associé l’esprit d’entreprise de son gendre, Dominique Dequidt. A la fin des années 70, convaincu avant tout le monde que le consommateur veut de la qualité, il offre un véritable essor commercial à la Ratte en fondant, en 1977, Touquet Plants, une société destinée à produire des plants pour fournir les jardineries.
Au début des années 80, Dominique décide de tester le marché de Rungis. Une Renault 5 rhabillée aux couleurs de la Ratte assure la promotion de la pomme de terre auprès des grossistes. 80 tonnes sont écoulées la première année. En 1986, il s’associe avec deux autres producteurs de la région : Audouin de l’Epine et Jean-Pierre Guisset, pour partir à la conquête des gastronomes français. La Ratte… du Touquet, bénéficie désormais d’un nom rien qu’à elle.
The « french cornichon »
La presse française salue l’arrivée du nouveau tubercule et un spot publicitaire Amora met en scène un gourmet savourant avec un plaisir non dissimulé la célèbre moutarde sur une Ratte du Touquet. L’effet sur la notoriété de la star montante est colossal. Au point d’attiser la curiosité à l’étranger : l’hebdomadaire américain The Herald Tribune lui brosse le portrait sous le titre « Potato of Snobs » (« La pomme de terre des snobs ») tandis que l’enseigne Mark and Spencers décide de la distribuer en Angleterre sous le nom de « french cornichon ».La Ratte du Touquet gagne définitivement ses lettres de noblesse gastronomiques grâce à une nouvelle aubaine inattendue. En 1986, Joël Robuchon invente une purée de pommes de terre préparée avec des Ratte, délaissant les variétés de prédilection qu’étaient jusqu’à présent les bintjes, violas et autres farineuses. La recette a fait le tour du monde, Joël Robuchon y a puisé une partie de son prestige et désormais, la pomme de terre, dont l’éventail des modes de préparation est immense, défile sur les tables les plus huppées.
Dominique Dequidt, aujourd’hui encore producteur de Ratte du Touquet en Baie de Somme, a consacré sa vie à développer cette pomme de terre. Désormais, il orchestre le petit groupe des neuf autres producteurs de la variété.Son fils Alexis, quant à lui, travaille à faire de cette pomme de terre la plus aimée des Français. Il a pour objectif :
- d’assurer aux consommateurs la qualité des produits et le plaisir gustatif
- d’inscrire la Ratte du Touquet dans les nouveaux modes de consommation
- de faire en sorte que la culture de cette pomme de terre respecte au mieux l’environnement.
En résumé, tous œuvrent aujourd’hui pour une même cause : faire de la Ratte du Touquet une pomme de terre de gastronomes à la fois moderne, savoureuse, bien ancrée dans son terroir, et soucieuse de développement durable.