Un article proposé par Raphaël ROUILLE, libraire Sauramps en Cévennes.
Article paru dans le PAGE DES LIBRAIRES du mois de mars.
Prévu en trois volumes The Goddess of War est une attaque déjantée contre les faiseurs de guerre. Débridé, le récit explose de toute part. L’esthétique décadente y consacre une guerrière fatiguée, sorte de Barbarella contemporaine givrée sous amphétamines.
Lassée par ses trophées, la Déesse de la guerre se remémore quelques batailles américaines puis s’abandonne au souvenir du grand et sensuel Cochise, qu’elle souhaite revoir absolument. Irrité, le Roi des Dieux décide de se venger et d’abattre sa foudre sur le peuple Apache. Entamé alors que G.W. Bush envoyait ses troupes en Irak, le récit de Lauren Weinstein mélange l’histoire guerrière des Etats-Unis à une sorte de cauchemar halluciné qui renouvèle le genre de la science fiction américaine. Au centre de décors dépravés, Valérie, héroïne alcoolisée, évolue en bichromie, sensuelle et pathétique. Barbarie graphique, humour cinglant, narration explosive : l’univers inspiré de la mythologie nordique de la jeune dessinatrice perfore chaque vignette sur son passage pour laisser place au chaos. Parsemé de quelques gravures à l’eau-forte, l’album mélange les genres avec malice. Banalisée, la violence - qu’elle soit physique ou morale – submerge les personnages et les décors comme autant d’éclats laissés par la guerre. Désabusée, la Walkyrie, arrière-petite-fille de Thor, se raccroche au sensuel Cochise. Mais une déesse peut-elle succomber à un humain ? Parodiques, certaines scènes rejouent des films de série B., au plus grand plaisir du lecteur. Renouvelé à chacune des pages, le système de narration graphique participe à l’ambiance décalée de cet album mutant aux dialogues tantôt crus, tantôt surjoués comme dans une mauvaise pièce de théâtre.
Plus que tout, le lecteur s’émerveillera face à l’inventivité et face à la vitalité graphique. Chaque case est une exploration. Les détails pullulent comme autant de parasites géniaux qui nourrissent le cœur du récit. En filigranes, l’histoire de l’humanité défile, à sa manière, gorgée de contradictions et de questionnements. La clef est peut-être à rechercher auprès de ce sage et vénérable Cochise, véritable aimant narratif et icône sexuée doté de tous les pouvoirs d’attraction. L’Amérique croyante et puritaine peut passer son chemin, The Goddess of War apparaît comme le pendant extravagant et insolite d’Adam et Eve. La rencontre improbable de Valérie et de Cochise alterne violence, sensualité, dégoût, sexe, horreur, rêve, humour et sacré. Ce détonant mélange rappelle les ambiances d’un Robert Crumb (maître de la bande dessinée américaine underground) ou d’un Dave Cooper (rappelons-nous de Ripple : Une prédilection pour Tina). Lauren Weinstein, aussi chanteuse d’un groupe de rock électro, nous ouvre ainsi les entrailles d’un monde délirant, peut-être pas si éloigné du nôtre. Raphaël Rouille /L'avis des libraires en partenariat avec Sauramps