Si la gauche et les socialistes savourent aujourd’hui un succès incontesté aux élections régionales, chacun a déjà l’esprit tourné vers la prochaine échéance, qui promet d’être la mère de toutes les batailles : l’élection présidentielle de 2012. Le PS revigoré envisage désormais sérieusement que son candidat puisse l’emporter. Mais avec qui pour enfiler le costume de challenger de l’UMP ?
Pèse d’abord l’hypothèse/hypothèque DSK. Ce Godot socialiste, que tout le monde attend mais que personne (chez ses concurrents) n’a envie de voir revenir de Washington … Le patron du FMI a des avantages évidents dans la course à la candidature : sa popularité consensuelle, sa stature internationale, le bon souvenir laissé par son passage au ministère de l’Économie et des Finances, et le fait qu’il soit resté à l’écart des derniers combats de tranchée au PS. Tout le problème pour lui est de savoir comment combler cet écart, à savoir, comment revenir dans le jeu politique socialiste. Dans le débat actuel sur le calendrier des primaires, beaucoup pensent que l’option de primaires tardives, notamment défendue par Martine Aubry, vise noblement à lui laisser le temps de rentrer de Washington. Mais il y a sans doute une autre explication, beaucoup plus cynique.
Martine Aubry est actuellement (et pour un an et demi encore) à la tête du parti socialiste. Elle bénéficie de la montée naturelle des eaux pour le PS dans un scrutin régional de mi-mandat, sans qu’il soit possible de faire la part de sa responsabilité dans le résultat de cette élection aux enjeux à la fois hyper-localisés, et biaisés par le vote sanction anti-UMP. Certains veulent lui attribuer le mérite d’avoir fait taire les dissensions au PS, mais n’est-ce pas plutôt une conséquence du pragmatisme des élus locaux, soucieux de ne pas perdre leur base politique ? Quoi qu’il en soit, elle tire profit de ces bons résultats puisqu’elle a la chance d’occuper le fauteuil de direction au bon moment. Comme François Hollande en son temps, mais à quelques – importantes – différences près : elle ne souffre pas de l’échec du TCE, qui en 2005 était venu ternir l’étoile hollandiste (son TCE à elle a eu lieu avant, aux européennes 2009) ; elle bénéficie, conjointement, d’une bonne cote sondagière, donnée en hausse depuis l’automne dernier et appuyée par le soutien actif d’éditorialistes comme Laurent Joffrin. On se souvient comment les sondages, entre autres facteurs, avaient fait pression de l’extérieur en faveur de Ségolène Royal en 2006. Installée de la sorte au sommet du parti et (pour le moment) dans le peloton de tête de l’opinion, Martine Aubry a tout intérêt à repousser le plus loin possible les primaires, et à cultiver le légitimisme interne, qui la fera progressivement passer de premier secrétaire à candidate naturelle. D’où également le calendrier de travail qui devrait être annoncé dans les prochains jours, avec une dizaine de conventions thématiques à partir de ce printemps, qui vont constituer un long tunnel protecteur pour la première secrétaire. Si elles fonctionnent, elles la légitimeront un peu plus ; quant à ses concurrents qui voudront mettre la question de la candidature à la présidentielle sur la table, on les accusera de préférer leurs ambitions au débat de fond, et d’aller contre la nécessaire unité. Cette « unité » dont la première secrétaire et ses proches faisaient hier soir – c’est tout sauf un hasard – l’éloge répété … Au bout du compte, « on » affirmera que la candidature de Martine Aubry est une « évidence », mouvement qu’annonce d’ailleurs l’expression de « primaires de confirmation » employée à plusieurs reprises par Laurent Fabius.
Ce (probable) plan est habile, mais comporte son lot d’inconnues. D’abord la capacité ou non des concurrents de la première secrétaire (on pense à Ségolène Royal, François Hollande, et aux « quadras » comme Manuel Valls ou Pierre Moscovici, sans oublier le bien discret Bertrand Delanoë) à s’entendre et à ne pas se laisser écarter les uns après les autres, enfermés dans leur ambition personnelle. On remarquera d’ailleurs que ces personnalités représentent peu ou prou le camp « réformateur » du dernier congrès, et qu’il y aurait donc une logique à leur entente sous une forme ou sous une autre. Deuxième inconnue, le choix des militants (qui pèsera lourd, que l’on ouvre les primaires aux sympathisants ou non). C’est un secret de Polichinelle, les « courants » de circonstance du dernier congrès ont quasiment tous explosé et ne représentent guère plus que le poids de leurs « cadres » dans le parti. Parmi les militants qui n’ont pas disparu des sections, beaucoup ont pris du recul et se sont repliés sur le militantisme local, dans une position d’attente. Vers qui ou quoi pencheront-ils ? Question qui peut être étendue aux divers « barons » et élus locaux, dont on sait la double propension à pouvoir « faire » les votes, mais également à pencher du côté le plus fort. Le jeu reste donc plus largement ouvert qu’il n’y paraît. Et plus encore quand on voit que la grande majorité des soutiens de Martine Aubry provient des rangs des fidèles de DSK et de Laurent Fabius, et ne la suivraient probablement pas dans un cas de figure où elle devrait affronter la candidature de l’un des deux susnommés.
Reste ce qui importe le plus, le contexte extérieur. Jamais on n’a eu autant besoin d’air frais au parti socialiste et à gauche, comme le prouvent l’abstention, massive dans les cités, et la remontée du Front National dans des régions à bassins ouvriers. Ce n’est pas un hasard si les deux succès-surprises des élections, ceux du Front de Gauche et surtout d’Europe Écologie, sont le fait de formations qui sont à la fois des rassemblements et des dépassements de forces politiques antérieures. Les Français attendent du neuf, une autre façon de faire de la politique (ce qu’avaient d’ailleurs promis les candidats de 2007). Mais personne n’a trouvé la formule magique, ni le Front de Gauche, qui ne fait que retrouver les scores précédents du PCF, ni Europe Écologie, qui, sur fond de conflits internes déjà prégnants, atteint nationalement le résultat cumulé des différents partis écologistes en … 1992. Avec un électorat sans doute très composite et mobile, formé pour bonne part de déçus du PS, du MoDem et de la politique en général. Il faut rassembler plus largement, aller chercher tous les citoyens progressistes qui boudent les partis politiques, et rompre avec des segmentations et des réflexes idéologiques du siècle dernier. Rassemblement social, écologique et démocrate, ou purement écologiste ? La définition du périmètre exact appartiendra à ceux qui arriveront le plus tôt à créer un vrai mouvement populaire. Ce dont sont encore bien loin tous les protagonistes en présence.
Romain Pigenel