C’est devenu la marque de fabrique du Théâtre des Champs Elysées : les plus grandes œuvres du répertoire, servies par des mises en scène sobres et classiques et des distributions jeunes et rafraichissantes. Cette fois, c’est Falstaff de Verdi qui revient sur la scène de l’avenue Montaigne dans une production sans coup d’éclat, mais très agréable.
La jeunesse et la vitalité d’une distribution qui de surcroît allie l’homogénéité aux qualités techniques en est le principal point fort. Les grands noms – Anna Caterina Antonacci, Mari-Nicole Lemieux, Ambrogio Maestri qui remplace au pied levé le Falstaff annoncé de Anthony Michaels-Moore – côtoient des chanteurs moins réputés, ceux qui étaient de l’aventure lors de la création du spectacle retrouvent de nouveaux venus, mais dans cet opéra où la hiérarchie des rôles n’est pas parfaitement établie, l’harmonie entre tous ces artistes est parfaite. Les nombreux ensembles qui émaillent l’œuvre sont toujours un modèle d’équilibre, grâce en particulier à la direction impressionnante de maîtrise du nouveau directeur de l’Orchestre national de France, Daniele Gatti.
Pas sûr qu’on ait perdu au change en troquant le baryton britannique Anthony Michaels-Moore contre l’expérimenté italien Ambrogio Maestri. Certes, un remplacement de dernière minute comme celui-là n’aura pas permis le nombre de répétitions suffisantes à une bonne connaissance de la production par le nouveau venu, mais c’est en grand professionnel que celui-ci s’insère dans un spectacle déjà bien huilé. Son Falstaff est sans doute plus noir, plus torturé, et moins bouffon que le reste de la mise en scène. Contraste délibéré ou décalage inévitable quand on n’a eu qu’une journée pour répéter ? Toujours est-il que le résultat est probant, le personnage riche, juste assez décalé pour être ridicule mais sans être grotesque. La voix est riche, généreuse, puissante et facile. La première scène de l’acte I est particulièrement probante.
Du côté des révélations, on notera la très gracieuse Nanetta de Chen Reiss ; voix claire et agile, espièglerie charmante, grande présence scénique, on n’oubliera pas le phrasé et les subtiles couleurs qui teintent sa lune de « Anzi rinnova come fa la luna ». Pour les plus chevronnées, on rendra hommage une fois de plus à la brûlante Anna Caterina Antonacci, plus pétillante que dans les rôles plus sombres qui forment l’essentiel de son répertoire, mais non moins en voix. Et que dire de l’excellente Marie-Nicole Lemieux : si la voix a parfois quelques reflets métalliques dans le grave, elle les met au service d’un personnage de commère plus vrai que nature, à la fois malicieux et profondément attachant. Ses « reverenze » à Falstaff sont à la fois musicalement pleines et théâtralement hilarantes.
Il convient de souligner la fraîcheur d’ensemble qui se dégage de ce plateau en particulier féminin. Même si je souscris en partie aux réserves émises ici et là contre les metteurs en scène qui sélectionnent les chanteurs pour leur âge ou leur physique avenant, excluant les trop gros (comme Daniela Dessi, écartée par Franco Zeffirelli de sa nouvelle Traviata) ou les pas assez beaux (Benoît Jacquot, regrettant l’apparence inadéquate de Marcelo Alvarez dans Werther), il faut reconnaître que cette concentration de chanteuses jeunes, vives, espiègles, belles, ne peut que donner un surcroît de vitalité à cette adaptation des Joyeuses commères de Windsor.
C’est d’ailleurs en cela que la mise en scène somme toute extrêmement sobre et classique de Mario Martone permet malgré tout de passer un agréable moment. La banalité des décors, la sobriété de la scénographie, la simplicité des effets, tout cela décevra sans doute ceux qui espéraient trouver une relecture novatrice de l'oeuvre. Pour les autres, il y verront plutôt l'effacement salutaire d'un artiste trop modeste pour s'imposer face à shakespeare et Verdi réunis. Les références shakespeariennes, puisque c’est encore lui, sont moins appuyées que dans le Béatrice et Bénédict de l’Opéra comique, mais elles ne sont pas absentes, comme lorsque les lumières de la salle se rallument au cri de Falstaff : « Tutti gabbati ! » (tous dupés). Dupés, peut-être, volés sûrement pas.
Falstaff au Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 2 mars 2010.