C’est le moment le plus attendu des mélomanes lyricophiles de l’année : le dévoilement de la nouvelle saison de l’Opéra de Paris, lieu-phare mais heureusement pas unique de la production
lyrique parisienne. La première saison du nouveau directeur Nicolas Joël avait déçu de nombreux mélomanes : certes, le retour à une pratique de la mise en scène classique avait soulagé les
ennemis du mandat résolument moderniste de Gérard Mortier. Mais très vite, l’attente de changement a laissé place à la morosité, à l’impression de déjà-vu et de déjà-entendu. Dès lors, chacun
attendait le programme de la deuxième saison pour voir le timonier redresser la barre. Autant le dire d’emblée, pour ma part, c’est la déception qui l’emporte. Tentons néanmoins de dégager la
logique, les nouveautés, et les enseignements de cette nouvelle saison :
Wagner en force
C’est la tétralogie de Wagner qui avait servi de fer de lance à la première saison de Nicolas Joël ; l’année prochaine encore, il faudra compter avec le maître de Bayreuth. Outre la poursuite du cycle du Ring, dans la droite ligne des premiers pas de la Tétralogie ces jours-ci à Bastille, et dont je promets un compte-rendu dès le 26 mars, Wagner a encore le droit à l’ouverture de la saison, avec le moins wagnérien des opéras de Wagner, le Vaisseau fantôme. Si l’on ajoute la reprise de l’Or du Rhin de cette saison, qui avait été pris d’assaut dès l’ouverture des réservations, on conclura sans l’ombre d’un doute que Wagner est le fil directeur de cette saison, sinon de l’ensemble du mandat de Nicolas Joël. Trois productions cette saison, dont deux nouvelles ; seul Puccini égale ce score, mais c’est au prix de deux reprises nettement datées (Tosca et Madame Butterfly). Je ne suis pas assez wagnérien pour m’en féliciter, mais c’est indéniablement là qu’il faudra chercher les seuls espoirs de nouveauté.
Des stars, encore des stars…
Nicolas Joël poursuit sur sa lancée, en faisant revenir à Paris les chouchous du box office, qui sont sûrs de remplir les salles en toute circonstance. Après Natalie Dessay et Anna Netrebko cette année, ce sont Roberto Alagna (Francesca da Rimini) ou encore Renée Flemming (Otello) qui feront leur retour à l’Opéra après avoir été boudés par Gérard Mortier. Pourquoi pas, dira-t-on, les excès du vedettariat n’empêchent pas la qualité de certains chanteurs, le succès unanime de Jonas Kaufmann dans Werther en témoigne. Mais on ne peut encore une fois que regretter que ce retour des stars s’accomplisse dans des productions pensées autour d’elles plutôt que dans des projets artistiques cohérents : quelle idée par exemple que de faire chanter Cléopâtre à Natalie Dessay dans la nouvelle production de Jules César de Haendel ? Pour avoir les honneurs de la prise de rôle de la diva à la mode, l’ONP semble prêt à tous les compromis, au point de handicaper une production de Laurent Pelly qui aurait sans doute mérité un contexte plus favorable.
Tourner la page Mortier
Plus que jamais, la politique de Nicolas Joël semble consister à prendre le contre-pied intégral des choix et provocations modernistes de son prédécesseur. Au point de se priver d’une partie du répertoire de la maison qui n’est pas la moins riche. Le voilà donc obligé d’aller chercher dans les productions les plus anciennes et souvent les plus datées le catalogue de ses reprises : des Noces de Figaro signées Giorgio Strehler – je le croyais mort, j’ai dû me tromper... – la Tosca de Werner Schroeter, ou encore la Luisa Miller de Gilbert Deflo. Même pour la reprise de Cosi Fan Tutte, Nicolas Joël a préféré à la très honnête production de Patrice Chéreau datant de l’ère Mortier la résurrection d’un spectacle plus ancien d’Ezio Toffolutti. N’y avait-il donc rien d’autre à sauver des années 2001-2009 à l’Opéra de Paris que Katia Kabanova ou L’amour des trois oranges ?
Quelques heureuses surprises…
Tout ne saurait être à jeter dans cette nouvelle saison, et même si la cohérence manque à ces choix artistiques, quelques innovations méritent d’être saluées. En particulier, c’est avec plaisir que l’on voit enfin l’année de la Russie s’inviter à l’opéra avec un Eugène Onéguine que l’Opéra de Lyon n’a pas attendu si longtemps pour mettre en scène. Remettre au goût du jour Riccardo Zandonai (Francesca da Rimini) est également une saine initiative, même si l’on ne saurait qu’être inquiet de le voir une nouvelle fois confié à Giancarlo del Monaco. La création contemporaine n’a pas non plus été négligée, avec un souci de l'ouvrir à un public plus large, qui ne manquera pas d’énerver les puristes. Mais le choix de confier un nouvel opéra à Bruno Mantovani, compositeur à n’en pas douter plus accessible que ceux de ces dernières années, pourrait être un moyen de réconcilier le public avec la création contemporaine.
…dans un contexte morose
Faible cohérence, wagnérisme à tout crin, conservatisme, politique tarifaire proche du scandale, fermeture progressive à la jeunesse (les abonnements jeunes ont perdu en qualité ce qu'ils ont gagné en prix), le bilan est n’est guère flatteur. Mais des surprises restent possibles.