De la Bérézina

Publié le 22 mars 2010 par Desiderio

Bon. Tu vois ce splendide tableau du plus pur art pompier du XIXe s. et tu te demandes ce qu'il a à voir avec l'actualité, et tu as raison. On y voit pêle-mêle de la fumée de canon, de la glace, des hommes dans un joli écrabouillage général où on ne comprend strictement rien et c'est beau comme de l'antique, on se croirait aux Thermopyles ou dans les Fourches Caudines, et cela donne de jolis effets graphiques avec plein de mignonnes couleurs belles à voir.

On trouve des dizaines de tableaux similaires par des peintres de troisième rayon qui peignent tous les mêmes scènes : le passage de la Bérézina par les troupes françaises et européennes face à l'armée russe. Le paradoxe, parce qu'il faut bien que l'histoire soit étonnante, c'est que la Bérézina a été une des grandes victoires napoléoniennes et Dieu sait si Bonaparte n'a pas été avare en victoires, c'était un génie du point de vue tactique et stratégique à la fois jusque dans sa campagne de France qu'il mène brillamment dans ma plaine champignacienne. Or il se trouve que cette victoire incontestable pour échapper à l'encerclement par des troupes supérieures en nombre et opérant sur leur propre terrain s'est transformée en synonyme de défaite au même titre que Trafagar ou Waterloo. Le problème, c'est que dans la bataille, plus de trente mille hommes meurent. Ben oui... on meurt beaucoup à la guerre, c'est comme ça et pas pour de faux, comme dans les jeux d'enfants.

On comprend alors l'émotion, le sentiment d'une sorte de désastre. Une armée parvient à échapper à un piège redoutable, au péril des eaux glacées face à un ennemi plus puissant et venu de tous les côtés, elle y laisse un bon nombre des siens et ce qui est sa victoire se transforme en une sorte de débacle. C'est cette image que l'on a retenu dans l'imagerie populaire et dans le langage courant. Parce que la victoire était trop chèrement payée.

Maintenant, pourquoi en parler à présent ? Parce que je lis dans la presse l'idée d'une Bérézina de la droite.

- Plus en raison de la crainte d'une Berezina au niveau national et régional que par rapport aux résultats locaux. La Voix du Nord.
- L'UMP tente d'éviter une Bérézina. Les Echos.
- Ce n'est pas la Bérézina. Ouest-France.
- Outre les réconforts alsacien, réunionnais et guyanais (le divers gauche Rodolphe Alexandre, rallié à Sarkozy, l'a emporté), la berezina se confirme pour la droite. Libération.
-
Dans la Berezina ambiante à droite, la candidate (UMP) à la présidence de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, tire son épingle du jeu. Le Monde.

Et je vous évite les 168 autres mentions de la même expression dans le même contexte, selon ce que me donne Google Actualités. Cela donne tout simplement l'impression d'un cliché que l'on emploie sans bien le comprendre. Je décerne cependant la palme à Libération pour l'emploi de ce cliché à contresens et je tresse une couronne de laurier à son directeur qui en est le spécialiste.