Illusions morales ?

Publié le 21 mars 2010 par Samiahurst @samiahurst

On a récemment reparlé de vaccination autour de la rétraction par la prestigieuse revue The Lancet d'un article datant de 1998 et soulevant la question d'un lien entre le vaccin contre la rougeole et la survenue de l'autisme chez les enfants. Entre temps, un si grand nombre de problèmes avait été soulevé autour de ce papier, que la question la plus intéressante est : comme ça a marché ? Pourquoi est-ce qu'un article fondé sur une méthodologie bancale, un nombre de cas presque anecdotique, et mettant de surcroît des parents en garde contre une mesure de protection de leurs enfants, a si bien 'fonctionné' ? Pourquoi a-t-il convaincu tant de personnes normalement constituées de laisser leurs enfants sans défense face à une maladie potentiellement létale ?


Une des réponses est surprenante, et un peu contre-intuitive: les erreurs commises par les parents opposés à la vaccination sont du même ordre que celles contre lesquelles certains écologistes nous mettent en garde. Je sais, je sais, ces personnes sont parfois les mêmes ! Qui a dit qu'on était toujours cohérents ? Pour vous convaincre, regardez cette vidéo, puis celle-ci. C'est paradoxal, mais la crainte de la vaccination a un point commun avec la tendance à oublier l'importance de l'écologie : nous sommes pour ainsi dire câblés pour préférer éviter un risque, ou un inconvénient, présent.
Qu'on en vienne à l'avenir, et tout se complique. Nos capacités, nos préférences, les limites de notre imagination, tout ça nous handicape. Nous sommes limités dans deux tâches qui sont justement nécessaires pour estimer un choix futur : évaluer la probabilité d'un événement, et évaluer sa valeur à nos propres yeux.
Devant un choix concernant l'avenir, notre imagination nous fait défaut. Un monde où les villes côtières ont disparu, où votre enfant est mort de la rougeole ? Impensable. Trop dur. Et puis surtout cela ne s'est jamais produit avant. Nous calculons les probabilités sur notre mémoire, et non... sur leur probabilité. Dan Gilbert présente dans la 2e vidéo un exemple saisissant : nous jouons à la loterie parce qu'on nous montre des gagnants. Nous en concluons que gagner n'est pas si improbable. Mais si nous devions donner 30 secondes d'interview à chaque perdant, nous verrions 9 ans non stop de témoignages pour 30 secondes du sourire qui suit le jackpot. Nous jouerions sans doute moins.
La crainte de la vaccination est semblable. On parle de chaque 'victime' soupçonnée, même lorsque le soupçon est sans fondement. Lorsque le doute est levé et la vaccination innocentée, silence. Même silence, assourdissant, chaque fois que quelqu'un ne meurt pas d'une maladie prévenue par la vaccination. Mon enfant n'est jamais mort de la rougeole. Je n'ai jamais vécu dans un monde où la mer est vidée de ses poissons : ces deux événements sont "donc" impossibles. On achète le billet de loterie, on hésite à vacciner son enfant, on achète comme si la planète était sans fin, dans tous ces cas la même illusion est à l'œuvre.
Si nous évaluons mieux le présent, si nous le préférons, c'est en partie parce que nos "raccourcis" ont évolué dans des circonstances où la préférence pour l'immédiat était vraiment prudente. Mais à présent que nous sommes libérés des menaces qui pèsent habituellement sur les espèces, maintenant que la menace la plus évidente vient de nos propres décisions, comme dépasser cette préférence ? Certains essayent de rendre les futurs possibles plus présents par le biais de jeux vidéos. Un des premiers, 'World without oil' a déjà eu un succès retentissant. En rendant plus concrète la fin du pétrole, ce jeu a changé le comportement des joueurs dans le vrai monde. Une solution par la réalité virtuelle ! Qui l'eut cru ? Je vous avais averti que nous avions des illusions d'optique...