Ecrit par GROCHER le 21/03/2010 -
Lorsque Juliette, ses enfants et un couple d'amis voguent en mer à bord d'un séduisant voilier de location, ils ne se doutent pas que Michel Berthier, le mari de celle-ci, fait peut-être profiter pour la dernière fois sa petite famille de vacances de rêve. En effet Michel, cadre supérieur dans une société de vente de matelas, sait déjà qu'il vient d'être licencié et qu'il est mis dans l'obligation de vivre de crédits et de découverts cumulés auprès de sa banque et de son meilleur collègue de travail. Son âge le desservant, ses demandes d'emploi demeurent vaines. Désespéré et déshonoré par cette triste situation, il va trouver tous les arguments pour quitter le foyer familial. C'est au gré de ses errances dans Paris qu'il va tomber sur trois types qui, comme lui, n'ont pas de chance dans leur vie. Avec Crayon, Le Toubib et Mimosa il va faire la connaissance du monde des SDF avec sa violence, ses combines mais aussi sa fraternité et sa solidarité.
Michel Berthier est un homme blessé qui passe ses dernières vacances "grand standing" avec ses amis et sa famille. Lorsque l'on a de l'ambition à revendre et que l'on pense être le cadre supérieur irremplaçable dans son entreprise, il est bien difficile sinon impossible d'admettre que du jour au lendemain on doit s'adresser à une agence pour l'emploi. Michel se sent floué, lâché par tous. Son beau fauteuil dans son spacieux bureau individuel est occupé par un autre. Comment réagir vis à vis de sa femme et de ses enfants? Michel ne veut pas plier, il utilise les subterfuges et les mensonges, mais qu'il est dur de ne pas s'enliser et de ne pas lâcher prise face à l'adversité. Il préfère donc quitter le foyer familial devant un tel déshonneur. Il est foutu, ses candidatures sont rejetées, il se sent inutile, au bout du rouleau. Seule la rue est là pour l'accueillir. Il erre, ses belles chaussures aux semelles décollées et la cravate cachant mal l'état devenu miteux de son costume. Le tourbillon du désespoir commence à l'engloutir lorsque par hasard il fait la connaissance d'un sacré trio composé de "Toubib", un ancien médecin, le chef aux décisions rapides et au flair acéré, de "Mimosa", la brute incontrôlable et de "Crayon", l'éternel toutou suivant son infortuné chef au doigt et à l'oeil. Bon gré mal gré, Michel Berthier va devoir s'intégrer à ces gens de la rue. Il va devoir s'habituer à chaparder pour manger à sa faim, à vivre l'ambiance "pocharde" de la station de métro, refuge de nuit. Une nouvelle vie bien précaire se dresse devant lui, mais une vie non démunie de sentiments tels que la solidarité et la fierté de ne pas se laisser glisser dans la saleté et dans le désespoir. Le regard de l'ancien cadre supérieur change progressivement sur cette société qu'hier encore il encensait et qui engendre la misère et l'humiliation dont il est l'otage avec ses copains. L'épreuve est dure et cruelle. Sa famille n'est pour lui qu'un bien-être à tout jamais évaporé. Son épouse et ses enfants ne voudront jamais voir revenir un pauvre pouilleux sans un sou ayant déjà ruiné son foyer pour avoir caché le plus longtemps possible sa déchéance. Toutefois peut-on oublier un père, un mari pris dans une tourmente qu'il ne pouvait plus maîtriser ? Le face à face avec un gosse qui a gardé le souvenir de son père dans son coeur n'est alors pas facile à soutenir pour Michel, rongé par la honte et le sentiment d'impuissance vis à vis de la vie.
En 1991 Gérard Jugnot souleva par l'intermédiaire de ce film le drame de ces nouveaux pauvres qui, victimes de leur âge, des décentralisations d'entreprises et de la concurrence de jeunes loups plus aptes à appliquer les méthodes agressives du patronat, se trouvaient obsolètes du jour au lendemain. Aujourd'hui ces méthodes brutales se sont encore amplifiées d'où l'intérêt de cette oeuvre à l'humour grinçant et au réalisme acéré. Bien sûr, comme souvent, Gérard Jugnot utilise de grosses ficelles et les scènes comiques, sentimentales ou dramatiques sont prévisibles et un peu lourdes; néanmoins rien ne retirera au réalisateur le mérite de montrer au public le drame vécu par une frange de la population. A ce titre le film est émouvant et nous plonge dans ce genre de "communauté" que l'on connaissait alors encore bien mal, une communauté dans laquelle se côtoient la violence et la solidarité. Ces hommes et ces femmes poussés dans un profond ravin se réfugient pour certains dans l'alcool, la drogue, venant à commettre des agressions en attendant la fin avec beaucoup de fatalisme. Ils n'ont plus l'envie ni la force de lutter, ils ne se contrôlent plus, ils ont déjà quitté dans leur esprit ce monde des humains qui les a détruits. Qui se soucie d'eux ? Beaucoup de gens se détournent de leurs personnes, les évitent et pourtant certains de ces "clochards" déshumanisés furent à une époque des personnes respectées et respectables. Le quatuor que nous suivons dans ce film fait partie de ceux qui ont encore la force de rester dignes malgré des périodes de désespoir mais cela ne suffit pas à nous rassurer sur l'avenir d'une société perverse, agressive et individualiste. Les personnages du film sont remarquables de sincérité dans leur interprétation avec un Gérard Jugnot tantôt fier, tantôt révolté ou pitoyable. Il nous offre certainement l'un de ses plus beaux rôles. Richard Bohringer, magnifique comme à son habitude, est un ancien toubib, usant de beaucoup d'énergie et de psychologie pour ne pas laisser sombrer ses deux inséparables copains: "Crayon" superbement joué par le très regretté Ticky Holgado et "Mimosa" incarné par Chick Ortega. Il convient également de saluer Victoria Abril victime de l'infortuné destin de son mari. Chaque apparition de l'actrice sur les écrans est un privilège tant son talent est immense.
Malgré les petits reproches que je formule ci-dessus, je trouve ce film courageux dans sa démarche. On ne peut que féliciter Gérard Jugnot pour sa sincérité que l'on respire durant quatre-vingt dix minutes et pour cette prise de conscience qu'il administre au public sous le ton d'une comédie dont le sujet reste malheureusement d'actualité.