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"Les élèves ne sont pas aussi à l'aise qu'on veut bien le dire avec Internet" LEMONDE.FR

Publié le 21 mars 2010 par Kallirrhoe

"Enseignants et documentalistes lecteurs du Monde.fr racontent comment ils forment leurs élèves à la recherche et à la vérification d'informations en ligne.

  • Difficultés propres au collège..., par Jean-Marc

Professeur moderne, je me suis fixé l'objectif d'aider mes élèves d'Argenteuil à "bien" chercher. L'objectif est, pour être optimiste, difficile à atteindre. En voici les raisons.
Des raisons qui tiennent à l'institution. Le format des cours (55 minutes) laisse peu de temps et l'équipement n'est pas fait pour recevoir une classe (mes élèves étaient serrés comme des sardines).

Ensuite, des raisons qui tiennent... aux élèves. Même s'ils se font fort d'être des experts, ils sont en fait assez mauvais en dehors des blogs et des sites sociaux (ce qui se comprend, d'ailleurs). Cet obstacle psychologique surmonté, il faut ensuite affronter des obstacles intellectuels : faire une recherche efficace demande du doigté (ce n'est vraiment pas facile), de l'intuition et de l'intelligence.

C'est pour cette raison que je leur avais proposé un exercice de recherche sur un thème (les philosophes des Lumières) dont le principal critère d'évaluation consistait à mesurer la qualité de leur recherche, indépendamment du résultat obtenu.

Or ils avaient bien du mal à sélectionner des mots-clés pertinents – d'où un premier exercice "à blanc". Puis à sélectionner les sites les plus utiles. La première réponse de la liste était pour eux la meilleure – même si le site avait l'air bizarre ou que le texte proposé était manifestement trop long ou compliqué. Il fallait ensuite les inciter à comparer les réponses obtenues et à trouver des méthodes pour éviter le copier-coller...

  • Pistes de travail, par Jean-François

Les élèves utilisent beaucoup le Web dans les phases de recherche documentaire. C'est lors de ces recherches que les risques de méprise ou de confusion sont importants. Voici une liste de conseils que je transmets à mes étudiants pour se prémunir contre certaines déconvenues :

  • Croiser les sources d'informations en consultant par exemple les sites de plusieurs journaux en ligne.
  • Sur Wikipédia, consulter l'historique des mises à jour pour éviter les ressources obsolètes, cela est particulièrement important en matières de statistiques économiques. De même, sur les blogs, toujours regarder la date de publication.
  • S'informer sur les rédacteurs des articles. J'interviens dans le domaine de l'économie, et la frontière avec la politique est parfois mince. Il paraît important que les étudiants/élèves soient conscients de la possibilité de positions partisanes.
  • Aller directement sur le site dont la source est citée. Ceci est valable notamment pour les cartes ou les graphiques. Il y a toujours des mises à jour possibles ou des ré-actualisations.
  • Puisque les jeunes utilisent beaucoup les réseaux sociaux, croiser les avis et les doutes avec ses "amis Facebook".
  • Inviter les élèves à réagir par la production de commentaires constructifs afin qu'ils s'approprient les contenus et décèlent par eux-même les éventuelles failles ou lacunes des contenus identifiés.
  • Exiger la reformulation des idées pour éviter les copier-coller. Cette reformulation peut se faire au sein d'un blog ou d'un wiki.
  • Une utilisation plus quantitative que qualitative, par Héloïse

Je suis professeur de lettres classiques en collège et lycée. Lors de ma première année en lycée, j'ai demandé à mes élèves de première un devoir maison "type bac" portant sur l'analyse d'un texte littéraire. Sur 33 élèves, plus de la moitié s'étaient contentés (en deux semaines de travail) de faire un "copier-coller" d'analyses existant sur Internet (certains avaient poussé le vice jusqu'à recopier les fautes d'orthographe des sites Internet !).

On dit de ces élèves qu'ils font partie de la "génération informatique", qu'ils savent mieux que quiconque se servir des ordinateurs et d'Internet... Je m'inscris absolument en faux contre ces préjugés. Nos élèves utilisent les ressources informatiques de façon quantitative et non qualitative. Ils n'ont malheureusement aucun recul critique et pensent que ce qui est écrit est forcément la vérité. Tant qu'on ne les forcera pas à remettre systématiquement en question le contenu d'Internet, nous serons face à un problème de taille.

  • Prendre de la distance, par Maud

Depuis près de quatre ans, les enseignants doivent avoir leur brevet informatique (C2i) dans l'optique de valider pour l'obtention du brevet les compétences du B2i. Il nous est impératif de former les élèves à maîtriser les outils informatiques, mais encore plus à respecter la charte informatique de l'établissement quant à l'utilisation d'Internet. Des items du B2i les invitent à se questionner et surtout à connaître l'origine de l'information. C'est pourquoi chaque fois que les élèves vont sur Internet, nous demandons une sitographie, pour les habituer à citer leurs sources. Par ailleurs,on peut filtrer et limiter les sites de recherche, mais cela n'éduque pas à se questionner et à être autonome devant l'information.

La documentaliste intervient donc en ce sens pour que les élèves croisent au maximum leurs sources pour les amener à questionner le sérieux de l'information.  Néanmoins, malgré toutes ces démarches, je constate que l'éducation à Internet sera un long chemin de croix : les élèves n'ont aucune distance par rapport aux sites, prenant pour argent comptant ce qu'ils trouvent. Ils piochent l'information et la consomment sous sourciller. Les parents n'ont également aucun recul et sensibilisent très peu leurs enfants à l'outil informatique, étant pour la plupart dépassés aux-mêmes. Enfin, certains collègues enseignants eux-mêmes n'ont aucun recul, car ils ont été aussi très peu formés à ce genre d'outils.

  • L'importance des références, par  Fiona
  • Je leur apprends à privilégier les sites universitaires (Jstor, Muse, Cairn, 18th Century online, Gallica Bnf, Archive.org, Fabula, Vox poetica) ; pour Wikipédia, je les mets en garde, tant les articles sont inégaux. Les notes et les références sont un bon indicateur de sérieux : s'il n'y en a pas, méfiance !

Parmi les enseignants, il y a les professeurs-documentalistes qui, dans collèges et lycées, font découvrir et utiliser les ressources documentaires et celles du Net !  Nous, documentalistes, faisons souvent "poil à gratter" auprès des élèves (ou des collègues), rappelant le droit d'auteur ("pas de copier/coller !"), l'interdiction d'imprimer telle image, le regard critique devant l'écran, etc.

Dans mon collège, j'assure pour les élèves de 5e une formation aux outils de recherche, à l'évaluation d'un site ou d'une info : recouper des sources, identifier un auteur, le contacter, savoir repérer si un site est à jour, etc.

Mais les profs ne sont pas tous sensibilisés ni formés aux enjeux de cette culture informationnelle. Il manque un "programme" précis de connaissances et de compétences info-documentaires, sur lequel s'appuyer dans toute la scolarité et toutes les matières, pour que les outils de communication et d'information entrent à l'école, mais surtout que les élèves en soient utilisateurs intelligents, et non passifs. Apprendre à utiliser des outils, mais aussi à les connaître, à en mesurer intérêts, mais aussi limites ou dangers. Savoir trouver une information, mais aussi la comprendre, en évaluer pertinence et qualité, et aussi y réfléchir ! Nous espérons des avancées institutionnelles (d'autres pays l'ont fait). La dimension de l'esprit critique, de l'intelligence : c'est bien le rôle de l'école ?

  • Surtout en 5e et 4e, par Renaud

L'éducation aux médias a sa place en 6e mais surtout en 4e lors du chapitre sur les libertés, et plus précisément la liberté de la presse. Un chapitre traditionnellement très aimé des élèves dans le sens où ils se rendent compte qu'ils utilisent les médias de manière très incomplète.

L'utilisation des ressources du Web en histoire-géographie entre dans la maîtrise des sources en général, qui est abordée en 5e et 4e à travers l'étude et la critique des textes médiévaux sur les icônes françaises (Clovis, Jeanne d'Arc) et la critique de ces icônes. Une fois l'esprit critique éprouvé par l'écrit, les élèves sont chargés de rédiger des biographies avec les ressources du Web, sachant qu'ils doivent ici sélectionner leurs sources selon qu'elles sont institutionnelles, d'encyclopédies en ligne, de blogs, etc. Dès lors, le travail en classe revient à mettre en lumière les différence de traitement des connaissances selon le statut des sites.

Globalement, il est acquis pour de élèves de 3e que les ressources du Web sont plus difficiles à utiliser que les autres présentes au CDI. Pour les élèves en difficulté, le Web signifie souvent "économie d'effort" et il est donc plébiscité, à tort, malgré nos multiples rappels.

  • Et les former à la lecture ?, par Bernard

Enseignant en lycée, j'encadre les élèves lors des TPE (travaux personnels encadrés), où le travail autonome permet de jauger leurs capacités à utiliser Internet. Le résultat est :

  • aucune notion de mot-clé, de registre lexical induisant le type de réponse : ils tapent des morceaux de phrase, avec articles, sans guillemets...
  • aucune analyse des site (.org, .com, .pages perso), donc aucun recul critique
  • lecture littérale et maladroite : au bout de deux lignes, si l'info n'y est pas, on zappe...
  • les outils : surligneur, sites similaires... rien

Alors la maîtrise de l'outil web... Et tellement imbus de leur supériorité de "digital native" qu'ils sont incapables d'écouter et, pire encore, suivre les consignes proposées !

  • Ne pas prendre pour argent comptant, par Bruno

J'utilise le Web presque quotidiennement avec mes élèves de terminale, notamment si j'ai besoin d'une donnée actualisée (taux de chômage dans le cours d'aujourd'hui, par exemple).

Je les mets fréquemment en garde sur les informations qu'ils trouvent sur le Web : ces informations sont-elles fiables et proviennent-elles d'une source digne de confiance ? J'insiste pour qu'ils formulent correctement leurs recherches dans les moteurs de recherche et qu'ils ne s'arrêtent pas au deux ou trois premières occurrences trouvées. Je leur rappelle que de nombreux sites payants proposent des ressources qu'ils peuvent trouver gratuitement avec un peu de persévérance.

Il me semble que contrairement à l'idée générale, les élèves ne sont pas aussi à l'aise qu'on veut bien le dire avec Internet. Certes, ils maîtrisent mieux que moi les sites de tchat ou autres forums ; en revanche, lorsqu'il s'agit de rassembler différentes informations sur un sujet donné et de les recouper, bien souvent il ne s'agira que d'une compilation pure et simple (du copier-coller) sans analyse ni recul sur les informations données.  C'est donc un travail incessant de rappeler que le Web est un formidable outil à condition d'en maîtriser les élémentaires règles du jeu et de ne pas céder à la facilité apparente qu'il semble offrir."

Le monde 18.03.10


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