Bien que Jean-Louis Borloo ne cesse d’affirmer qu’une taxe carbone sera en place le 1er juillet prochain, il faut s’attendre au report pur et simple du projet. Le record d’impopularité atteint par le chef de l’Etat, rendu manifeste par les résultats du premier tour des élections régionales, conduira probablement le Président de la République à renoncer à un projet en butte au mécontentement de la population et des corporations, et que son gouvernement ne parvient pas à élaborer.
La concertation avec les entreprises a mis en évidence la forte opposition du patronat à l’instauration d’une taxe qui pénaliserait les seules entreprises françaises, au bénéfice de leurs concurrents européens et extracontinentaux. On s’orientait alors vers une taxe à deux vitesses, de 17 euros par tonne de CO2 pour les particuliers et de l’ordre de 4 euros seulement pour les entreprises. Il est probable qu’un tel choix provoquerait colère et incompréhension chez les français. Pour les élus de la majorité gouvernementale, cette perspective est difficilement acceptable, car ils se rendent compte que l’obstinationdu président et de son ministre Jean-Louis Borloo les conduit à une succession d’échecs électoraux cuisants.
Alors, Nicolas Sarkozy s’est retourné vers l’Union Européenne. D’abord, il a demandé que les quotas d’émissions imposés aux installations industrielles fortement consommatrices d’énergies fossiles fassent immédiatement l’objet d’une vente dans la limite de 10% des volumes autorisés. Ainsi, le gouvernement espérait pouvoir convaincre un Conseil constitutionnel qui avait rejeté la première taxe carbone parce que les industries les plus émettrices de CO2 n’étaient pas taxées. La demande française a été rejetée, la Commission européenne refusant, à juste titre, de modifier un Paquet Energie Climat dont l’application est prévue pour le 1er janvier 2013. D’ailleurs, les procédures européennes n’auraient pas permis d’accéder à la demande française dans le court délai exigé. Le gouvernement a alors suggéré à la Commission de prévoir une taxe carbone européenne. La Commission a accepté d’envisager une telle directive, en prévoyant par exemple l’instauration, par les états membres, d’une taxe d’un montant minimal d’environ 10 euros par tonne de CO2. Une telle directive, cependant, devrait être approuvée par tous les états. Il n’est pas réaliste de croire à une telle unanimité.
Toutefois, un consensus européen pourrait être envisageable si l’on ajoutait aux taxes intérieures à l’Union, une taxe carbone aux frontières pour pénaliser les fournisseurs de l’Europe au même titre que le seraient les entreprises européennes. La question a été plusieurs fois considérée dans le passé, et, à chaque fois, elle a été écartée, car comment calculer, produit par produit, un impôt qui tiendrait compte de leur origine, des quantités de combustibles fossiles nécessaires à leur fabrication et à leur acheminement jusqu’aux frontières européennes ? Ne pas répondre à cette question revient à créer des droits de douane d’une totale inefficacité sur les émissions de CO2, car ils ne feraient aucune différence entre producteurs vertueux et producteurs laxistes. Dès lors, on instaurerait purement et simplement un système protectionniste condamné par les règlements de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Il est confondant d’observer cette succession d’improvisations de la part du chef de l’Etat, qui, pour se sortir de l’impasse dans laquelle il s’est fourré, tente de mettre en route des mécanismes toujours plus complexes, qu’il maîtrise de moins en moins, dans une démarche vouée à l’échec et qui le déconsidère toujours plus dans l’opinion internationale, et tout cela pourquoi ? Parce qu’un ministre a imprudemment mis sa signature au bas d’un document baptisé "Engagements du Grenelle de l’Environnement", document sans valeur réglementaire, produit au terme d’une procédure non prise en compte et non prévue dans la Constitution française.
© J.M. Belouve, 2010
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