John&Jehn; l’interview

Publié le 20 mars 2010 par Hartzine

 Emeline Ancel-Pirouelle © pour hartzine

Le matin où j’ai reçu Time Of The Devil s’est révélé un printemps précoce et inattendu. Après des mois à écouter en boucle des opus plus sombres les uns que les autres, hiver oblige, le dernier album de John&Jehn a soufflé un vent chaud dans mon esprit embrumé. Il me fallait une bonne perfusion de pop énamourée et je l’ai trouvée dans ce duo de lovers français exilés à Londres. Leurs titres frais et flamboyants m’ont emballée, et c’est donc avec un plaisir non-dissimulé que votre dévouée est allée rencontrer John&Jehn, un après-midi pluvieux, du côté de Pigalle.

Après un premier Ep L’Amour Ne Nous Déchirera Pas, en 2005, suivi d’un album John & Jehn sorti lui en 2008, le petit dernier Time of The Devil. J’aimerais que vous reveniez à la genèse de J&J, comment tout a commencé ?

John : Tu as mentionné le premier Ep, qu’on a sorti en 2005. Cet Ep reflète la manière dont on travaille, et la manière dont on voit la musique. On compose au moment où on s’enregistre. Et la genèse musicale de J&J, c’est ça. On s’est enfermé un mois dans un petit home-studio en 2005, et c’est là qu’on a découvert notre univers musical ensemble, en s’enregistrant. Cela a été très important pour nous, parce qu’on y a mis notre base.

Jehn : On a commencé par être ensemble en temps que couple, et on était pas du tout convaincu (enfin surtout moi) que faire de la musique ensemble était une bonne idée. Parce que tout d’un coup, ça devenait quelque chose d’assez important et ça me faisait un peu peur. Mais quand on s’est enfermé pour essayer, tout d’un coup, il s’est passé un truc. Et ça a été un vrai point de départ.

John : C’était un émerveillement cet Ep ! Toutes les prises sont des one shots, on s’est enregistré en s’amusant comme des fous. Cette démo, transformée en Ep, avec une couverture sérigraphiée à la main, a été prise par Rough Trade, et distribuée par eux en Angleterre. Quelque part, on l’a oublié ce truc-là, c’est marrant que tu en parles. C’est un peu ce qui nous a poussés à vivre à Londres aussi. C’est parce que cette démo y a été accueillie à bras ouverts.

Vous n’aviez pas eu le même accueil en France ?

Jehn : En France, Magic l’avait chroniqué en temps que démo.

John : Et Rough Trade en temps qu’Ep. La vision était différente, on a tout de suite été pris au sérieux là-bas.

Je voudrais revenir à votre couple, sans aller dans le privé, est-ce que ce projet musical ne vous fait pas peur ?

Jehn : Non, plus maintenant.

John : Dans quel sens ?

hartzine : Pour votre histoire à deux.

John : Dans le sens de détruire notre couple ?

hartzine : Pas forcément, mais ça peut l’ébranler…

Jehn : Je comprends tout à fait ton point de vue, parce que c’est exactement celui que j’avais au départ. L’idée est venue de John. La proposition. Il avait une vision intéressante de par notre différence d’âge. Personnellement, je n’avais pas beaucoup d’expérience de l’intime, je n’étais pas passée par toutes les étapes du couple, je n’avais pas eu de longue relation.

John : Ça me fait rire ce que tu dis…

Jehn : Je parle pour toi, ça t’embête pas ?

John : Non non, vas-y !

Jehn : Selon lui, si on ne se lançait pas là-dedans, on allait se séparer six mois plus tard. Le couple n’est pas une solution en soi. Être en couple, ça n’a pas de sens.

John (à hartzine) : Tu sais, le danger dont tu parles n’en est pas un. Je pars du principe qu’une séparation, c’est pas grave. Le couple n’est pas quelque chose de sacré. Et je crois que si on n’était plus un couple aujourd’hui, on continuerait à faire de la musique ensemble.

Jehn : J’ai l’impression que les gens se séparent parce qu’ils ont peur de se séparer ! Quand il se passe quelque chose de fort, on a forcement peur que ça s’arrête. Notre démarche par rapport à ce nouvel album, c’est aussi d’exprimer toutes ces mauvaises pensées. Quand on est en couple, puisqu’on parle de ça, on a peur de désirer quelqu’un d’autre, ou d’avoir une relation intime avec d’autres gens. Il y a une espèce de claustrophobie qui est une aliénation. Ce qu’on a voulu exprimer, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de ces pensées-là…

John : … qui peuvent aussi nourrir le couple. La question, c’est comment rester un individu intéressant dans un couple, parce que le couple c’est chiant !

Justement, l’écriture puisque tu commences à l’aborder, comment ça se passe ?

John : On écrit tous les deux les chansons.

Jehn : Oui, par contre, on chante pas forcément son propre texte. Moi, je chante pas mal de textes que John a écrit, et inversement selon les titres. Après, je peux aussi ré-arranger des textes qu’il a écrits. Mais c’est quand même principalement John qui écrit.

La musique aussi ?

John : Disons que je fais souvent le squelette des morceaux. C’est moi qui produit, on n’a jamais fait appel à un producteur sur nos disques, donc j’apporte souvent les squelettes, les idées, et la direction artistique. Jehn est une arrangeuse hors-pair, et surtout une chanteuse hors-pair, on se complète parfaitement et on est très conscient des rôles de chacun dans la composition.

Jehn : Et comme on est tous les deux, on se passe les instruments en studio, on fait tout tout seuls.

John : Les morceaux ont été commencé à la basse, pour trouver un groove tout de suite, et adapter une structure de morceau dessus, en fonction du chant. C’est pour ça que les chants sont très en avant sur l’album.

Tu dis que Jehn est une chanteuse hors-pair, de mon point de vue, ta voix John est aussi bonne, comment est-ce que vous trouvez l’équilibre entre les deux ?

John : Moi je vais pas être objectif (rires), parce que sur cet album, je trouve que Jehn a un chant vraiment abouti. Il y a eu un énorme travail à ce niveau, en terme de direction artistique.

Jehn : John me dirigeait complètement, ça a été des séances longues et douloureuses. Il sentait que j’avais un potentiel, et que je pouvais toujours aller plus loin. On se pousse mutuellement quand on crée.

John : C’est aller d’un extrême à un autre pour essayer de trouver le juste milieu. Le chant c’est très psychologique, on a souvent tendance à se limiter à ce qu’on sait faire par peur du ridicule. C’est un travail de torture mentale pour emmener l’autre plus loin que tout ce qu’elle pouvait imaginer. Et c’est super important le chant dans les formats pop, c’est primordial.

J’ai pas mal de parties chantées aussi, du coup je me faisais des séances de studio tout seul, sans technicien. J’ai essayé des techniques de David Burn, qui sont de courir sur place, de s’essouffler, d’avoir un chant essoufflé, généralement c’est les trucs qu’on garde pas ! (rires) Parce qu’on va dans des extrêmes, mais ce qui est intéressant c’est le processus. Entre le moment où on était là, à paresser, et le moment où on va chercher un truc extrême, il y a plein de prises, et c’est généralement une de celles-là qui va être la bonne.

C’est comme ça que je travaille, je cherche la prise, le one shot.

Comme au cinéma ? Il y a un aspect très BO dans votre musique, non ?

Jehn : Oui c’est vrai. À la base, je suis comédienne, et c’est vrai que j’aime être dirigée. Ça me parle assez ce que tu dis… Mais la clé, au niveau du chant a été musicale. On a cherché des mélodies. Après dans l’interprétation, on n’est pas au théâtre, on n’interprète pas des personnages, je ne crois pas qu’on fonctionne en ces termes-là.

Quand je parle de cinéma, il s’agit plus d’histoires, d’émotions et d’ambiances…

John : Oui, et puis il y a une ambiance visuelle aussi, qui est très importante. On travaille avec Antoine Carlier, qui réalise toutes nos vidéos, et les photos pour cet album. C’est un tueur ! C’est le troisième membre de J&J actuellement, il est capable de parler de l’album de A à Z, il s’est totalement fondu et intégré dans le projet.

Il a réalisé un documentaire sur l’enregistrement, je crois ?

John : Il est en train de réaliser un petit film qu’on va essayer de projeter. Ce qu’il fait est superbe, il filme toujours en qualité cinéma, c’est un maniaque de l’image. Il est comme nous, il a un rapport passionnel avec son boulot.

Jehn : Et je le trouve très intelligent dans son travail avec nous. Ce qu’il va toujours mettre en avant, avec son souci constant de l’image, c’est la musique. Il pense que nos visages représentent complètement notre musique.

John : Oui, il fait tout le temps des plans serrés, parfois je lui dit que les gens ont peut-être envie de voir la marque de ma guitare aussi ! Alors il fait des compromis mais c’est rare quand même… (rires)

Jehn : Et puis, on a une collaboration avec lui, où il a une liberté totale de création. Comme il n’y a pas d’intervention classique de maison de disque, avec Naïve on a de la chance, parce qu’ils nous laissent faire.

John : D’un point de vue artistique, on a carte blanche.

Je voulais revenir un moment sur votre vie en Angleterre, vous êtes installés a Londres depuis quatre ans, et dans vos références vous citez essentiellement des Anglo-saxons, que reste-t-il de français dans votre musique ?

John : Pour ce qui est de la France, on est un peu passéiste je crois, chez les Anglo-saxons on peut parler de plein de trucs actuels, en français, beaucoup moins. A part Gainsbourg évidemment. C’est vrai que pour cet album, il est une vraie référence. Dans Oh My Love, c’est comme si on avait une basse de Melody Nelson avec un orgue de Ford Mustang !

En tout cas, ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est qu’il y a beaucoup de groupes français qui n’ont plus honte de chanter en anglais, et des maisons de disque qui n’ont plus honte de signer des groupes qui chantent en anglais ! Et c’est tant mieux. En ce qui nous concerne, toute notre histoire musicale, notre parcours, notre manageuse et presque toute notre équipe est anglaise. Pour John&Jehn en tout cas. Après pour nous en tant qu’individu, on reste français, mais pas vraiment en terme musical c’est vrai.

Sur Time of The Devil, j’ai l’impression qu’il y a deux ambiances, d’un côté on a des titres rock aux sonorités assez classiques (Oh my Love, Ghosts) et de l’autre, des titres très barrés new wave, en même temps, elles coexistent en paix je trouve.

John : Cool ! (rires)

C’est quand même la pop qui relie le tout, mais comment vous avez fait pour mixer ces influences si différentes ?

Jehn : On a enregistré sur deux étés de suite. Entre les deux on a tourné, et on a eu envie de travailler un peu comme dans les années 50, chanson par chanson, sans chercher forcément à faire sens, en se faisant confiance. Et finalement, c’est Antoine qui a amené le sens.

John : Il a lié le tout. Mais d’un point de vue musical, c’est la production qui donne du sens. Et nos voix sont les mêmes, que les influences soient des années 60 ou 80.

On s’amuse sur les instrumentaux, il y avait même des morceaux reggae qu’on n’a pas mis sur l’album ! On s’amuse à expérimenter des trucs. Au départ, on avait suffisamment de morceaux pour faire un album complètement 80, genre New Order. Mais on s’est dit qu’on allait mettre des morceaux comme Prime Time ou Oh Dee, qui sont des morceaux orchestrés, avec beaucoup de pianos, très Phil Spector ! Au final, ça fait un chouette ensemble. On a très peur des chapelles, et des églises en général ! On ne veut pas appartenir à une scène, ou à un genre particulier. On veut être ce qu’on est. Le sens c’est nous qui l’amenons, j’espère, avec naturel.

Jehn : On a peur d’ennuyer, et de s’ennuyer aussi ! Je me sentirais pas de faire un album où on l’impression que c’est la même chanson tout le long…

John : C’est vrai que c’est une critique de l’album qui peut être faite. Si je m’auto-critiquais, ce serait ça : “À quoi ils jouent ? Où veulent-ils en venir ?” (rires)

Jehn : On aimerait faire des choses différentes à chaque fois, et que ce qui lie le tout, ce soit nous.

Propos recueillis par : Virginie Polanski. Merci à Lara d’Ivox.
crédits photos :  Emeline Ancel-Pirouelle pour Hartzine

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