Première analyse de la loi Pécresse
Par par Johan (son site) - http://www.agoravox.fr/
La loi Pécresse répond à un diagnostique sérieux : l’enseignement supérieur est inégalitaire, inefficient, et a tendance à freiner la mobilité sociale plutôt que de la favoriser.
Cependant ses leviers d’actions auront des conséquences graves, qui risquent de ternir tant ses bénéfices que son bilan qui sera finalement négatif.
1 Sur la sélection 2 Sur la professionnalisation 3 Sur la mobilité sociale 4 Sur l’aspect économique et politique de la loi LRU 5 Sur la coopération
1 Sur la sélection :
Avant tout il faut couper court à la rumeur selon laquelle il n’y a pas de sélection en université avant le bac plus 5. La sélection existe en fac. Pas au moment de l’inscription, mais au moment des examens sanctionnant le travail de l’année.
En Droit, à Aix c’est : 30 % de réussite en première année. 50 % en deuxième. 50 % en troisième.
Dans certaines filières saturées, comme en Anglais, le taux de réussite en première année est de 10 %. Il est quasiment impossible à un élève qui n’est pas déjà bilingue en arrivant de s’extraire de cette sélection aveugle. Des formations par correspondance type celles organisées par la Sorbonne sont des voies de garage, volontairement plus exigeantes, d’où s’extraient uniquement les profils exceptionnels.
On ne peut pas se plaindre à la fois que des jeunes soient sélectionnés à la fac ET que 20 % sortent de l’université sans diplôme.
Ensuite « l’absence de sélection à l’entrée » permet de changer de faculté quasi librement. La Sorbonne et Assas demandent de passer en commission pour pouvoir s’inscrire après un cursus dans une autre faculté. Même venant des facs d’Aix ou de Lyon.
2 Sur la professionnalisation :
Premier point : la difficulté à se réorienter. Après trois ans de Droit, j’ai cherché à intégrer une filière éco, qui m’attirait davantage. Je devais pour cela entrer en deuxième année de DEUG, plutôt que de m’inscrire en Bac+4 en Droit. Bref, une perte sèche de deux ans d’études. Plus de mes bourses. Le coût marginal d’un étudiant est pourtant dérisoire, et je n’aurais eu aucun diplôme que je n’aurais pas réussi en fin d’année.
Deuxième point : la pénurie de postes en filière professionnalisantes (essentiellement BTS, IUT, Ecoles d’Ingénieurs publiques, IAE, DESS).
On ne peut pas laisser un système de BTS et IUT hyper efficace avec si peu de place et se plaindre du manque de professionnalisation des filières. Tripler les places en IUT et BTS serait plus cher, mais toutes les places seraient prises et la formation serait celle attendue par les entreprises (auxquelles un profil de cadre IUT + Ecole ou DESS se vend souvent mieux qu’un profil Prépa + Ecole ou DESS).
Les IUT, ce ne sont pas des facs, mais c’est l’université.
Du point de vue des alternatives aux écoles, les écoles d’Ingé Polytech’ et les quasi écoles de commerce IAE donnent une formation excellente et orientée entreprise (on notera aussi l’excellent Institut de la Communication et des Médias de Grenoble). Leur succès est croissant. 1 milliard par an sur 5 ans est ridicule par rapport au retard pris. Cette réforme est complètement sous dotée. Il ne faut pas essayer de faire du BTS ou de l’IUT en fac avec des amphis de 700 personnes, car ça ne marchera pas. D’ailleurs les « Licences-Pro » sont bien plus proches des IUT que des licences en facultés.
A l’inverse, en faculté, l’étudiant jouit d’un certain anonymat appréciable après 15 ans en école, collège et lycée où notre réputation sert autant pour nous noter que nos travaux, et d’une certaine tranquillité qui lui permet de passer des années à s’ouvrir au monde comme il le veut. De plus, plutôt que de laisser mourir à petit feu les facs de Lettres qui ne trouveront pas d’entreprises pour se financer, et qui diminueront la qualité de leurs enseignements en même temps que le nombre de leurs étudiants, il vaudrait mieux proposer aux étudiants des alternatives plus facilement orientables. La solution, c’est d’abord la taille humaine des BTS-IUT, leur haut niveau d’exigence, leur contrôle continu, et leur orientation. Il faut absolument au moins doubler leurs moyens et communiquer intensivement en lycée sur leurs avantages.
3 Sur la mobilité sociale :
Effectivement il y a un vrai problème de mobilité sociale en France. Il ne faut pas oublier la frilosité pathologique des entreprises à l’égard des jeunes, des vieux, de ceux qui ont fait la fac, de ceux qui ont pas fait l’Ecole de Commerce la plus renommée, de ceux qui ont fait autre chose, des polyvalents, de ceux qui n’ont pas le nez dans le guidon, de ceux qui sont moches ou qui n’ont pas l’air "comme il faut" (première source de discrimination en France)... Tout ça pour un stage ou un contrat précaire. Les offres de stages sont pourvues sous condition d’expériences et de diplômes déjà validés. La dégradation de l’image de l’entreprise est démotivante. C’est par une politique de responsabilité sociale que nous ferons tomber ces œillères.
Nous avons des dizaines de milliers d’offres d’emploi non satisfaites. En face des millions de chômeurs reconnus comme tels ou évacués des statistiques officielles (étudiants qui font durer le plaisir pour ne pas se retrouver désœuvrés et sans bourse ni RMI, en formations, en recherche d’un temps partiel, en recherche d’un CDI, disponibles à la fin de leur préavis...) plus toutes les entourloupes qui alarment les statistiques officielles de l’UE depuis Jospin : premières radiations massives, premières campagnes de désincitation à se présenter aux agences.
La balle est dans le camp des entreprises, qui doivent de nouveau accepter la prise de risque, leur part de formation "sur le tas", et leur rôle de mobilité sociale dans une société qui se veut plus méritocratique.
Les entreprises sont faites d’hommes, qui favorisent le népotisme, la cooptation ou privilégient les filières les plus sélectives (quoique la sélection se fasse surtout au regard de la taille du portefeuille en école de commerce, pour une formation très proche des IAE ou des écoles moins cotées). C’est donc une question sociale qui se traduit économiquement.
4 Sur l’aspect économique et politique de la loi LRU :
Nous avons déjà dit pourquoi 1 milliard par an sur 5 ans sont insuffisants. Cette loi, à l’instar de la décentralisation Raffarin, a pour but de désengager l’Etat de ses obligations de financement direct, donc comptabilisé dans les normes du pacte de stabilité économique de l’UE.
Cependant, les entreprises ne seront pas du jour au lendemain disposées, par patriotisme, à payer la formation des étudiants sans contreparties. Certaines de ces contreparties seront raisonnables et positives, amélioreront l’employabilité, mais d’autres seront moins légitimes. Veut-on une université aussi docile que le sont les médias vis-à-vis de leurs annonceurs ? Aurais-je pu écrire un mémoire critique sur la loi DADVSI ou sur les dérives de l’UE à la veille du traité constitutionnel européen, si mon directeur avait craint de perdre ses financements ou si le doyen l’avait rappelé à l’ordre ?
Par ailleurs, ce financement, les entreprises iront le prendre quelque part. Ce quelque part ne sera pas les dividendes de leurs actionnaires, mais les poches des consommateurs. La décentralisation a conduit à des taux de prélèvements obligatoires records, la loi sur la réforme des universités érodera encore davantage le pouvoir d’achat.
Les entreprises préfèrent aujourd’hui payer leur taxe d’apprentissage à l’Etat plutôt qu’à un organisme de formation dont elles pourraient exiger plusieurs stagiaires. C’est absurde, mais révélateur de leur indifférence au problème de la formation.
Les facultés ont encore le montant de leurs inscriptions fixé par décret, mais un décret se modifie du jour au lendemain par l’exécutif. C’est aussi le cas pour les franchises. En l’absence de la moindre garantie, nous pourrions avoir de drôles de surprises.
5 Sur la coopération
Si certaines querelles de clochers rouillent les mécanismes de collaboration interuniversitaire, l’introduction d’une concurrence entre les universités (qui sera féroce surtout dans la phase de réduction du nombre des universités) risque d’aggraver cette pente. La concurrence peut potentiellement conduire au résultat inverse, dans l’hypothèse où il bénéficiera indirectement des efforts faits pour séduire les financiers, et son excellence sera elle-même un argument (parmi d’autres) en ce sens.
Par ailleurs depuis la « nouvelle approche européenne », ce sont les entreprises qui doivent faire les études scientifiques démontrant que leurs produits ne sont pas néfastes. Jusqu’à présent, les laboratoires universitaires contrôlaient les résultats pour s’assurer de leur sincérité, mais il sera difficile de croire aux conclusions sur les OGM de Monsanto et des labos universitaires financés directement par cette entreprise.
Conclusion :
L’Université ne se relèvera pas seule : les filières des facultés servent aujourd’hui d’expédient pour éviter le chômage, la précarité, l’impossibilité de se voir donner sa chance par une entreprise. Ce ne sont certes pas leurs fonctions, et seul un investissement dans les cursus BTS-IUT, ou proto Ecoles d’Ingénieurs ou de Commerce permettra de fournir au marché du travail des diplômés opérationnels, et de canaliser les étudiants vers des métiers porteurs.
Ceci nécessitera des investissements conséquents et une évolution des mentalités de l’entreprise qui ne sont pas garantis par la loi du 10 août 2007, dite loi Pecresse. Cette loi ne sera qu’un emplâtre sur une jambe de bois, et n’aura pour seul mérite que de réduire les dépenses publiques et d’assécher les fonds des facultés de Lettres et de Sciences sociales sans résoudre les problèmes de leurs étudiants.
Une intervention de l’Etat était nécessaire. Face à l’échec économique et social de l’enseignement supérieur, l’approche choisie a été de laisser les entreprises tenir les universités « par la bourse » pour leur faire davantage prendre en compte les demandes du marché. Les bienfaits de cette réforme de « privatisation partielle » sont réels, mais auraient également pu être résolus autrement et avec des conséquences négatives bien moindres.
Images : Deux facultés d’Aix-en-Provence séparées par une simple barrière depuis 1968 :
La Faculté de Droit, avec ses intérieurs marbre et verre, sa cour intérieure avec fontaine sculptée, ses colonnes, sa roseraie.
La Faculté de Lettres, qui ressemble à une énorme barre HLM entourée de grillages en corolle pour éviter que les chutes des revêtements des murs ne causent de blessures graves.
Depuis peu, la Faculté de Droit est équipée d’Algerco climatisés ( !) pour les TD. Mais n’a toujours pas renoncé à son traiteur préféré.