Autoroute de l’absurde

Publié le 20 mars 2010 par Www.streetblogger.fr

Je conduisais à toute berzingue, comme si je voulais que ma vie se consume en même temps que mon réservoir d’essence. J’avais ingurgité deux bouteilles avec une boîte et demie de médocs histoire de ne même plus voir la route.

Qu’on ne me dise pas que la voiture est faite pour la sobriété, lorsque l’on conduit à ses pieds on a un gros champignon.

Je repensais à Marcuse en sentant la lumière des lampadaires défiler comme l’écume électrique de cette mer d’asphalte dans laquelle, je finirai probablement noyé, broyé par un pylône, un rail de sécurité, un 38 tonnes ou ma propre vitesse. C'est-à-dire happé par un gros poisson du genre prédateur, un véhicule, la route, mes tendances suicidaires ou l’absurdité.

Je pensais à Marcuse la lecture de certaines de ses œuvres datait de l’époque où j’étais encore vaniteux et je croyais que lire les grands philosophes m’apporterait quelque chose.

Qui donc aime la sagesse, hormis les fous, les inconscients et les idéalistes ?

Et bien sûr les gens suffisamment vaniteux pour croire que quelqu’un a besoin de les écouter, soit que ce qu’ils ont à dire est tellement important, soit qu’ils ont le devoir de partager leur savoir ; ce qui revient au même.

Le sérieux a ce point commun avec la bêtise que nul n’est besoin de l’enseigner.

Et puis, à quoi bon ? J’avais beau essayer de réfléchir à quelque chose de sérieux la seule phrase qui me revenait en tête était celle-là : A quoi bon ?

Drôle d’interrogation. Nulle et sans objet. Nulle et non avenue. Nul n’attendait plus l’avènement de réponses, poser des questions était devenu trop douloureux. Un avenir décoloré s’offrait à moi comme la touffe d’une pouffiasse passée à l’eau oxygénée. Tant que ça rentre on s’en fout, c’est quand on sort qu’on a les boules. Une poule de plus qui ne nous pondra pas un chiard. Même si elle avait voulu j’aurais préféré collectionner les streptocoques. Je vois le plan de loin. La bicoque, la ribambelle, l’odeur du pain et du vin pour la cène quotidienne à la lumière des tubes cathodiques.

La marmaille qui s’émerveille devant le dernier feuilleton merdique. La bourgeoise cachée aux chiottes avec son gode parce que je ne bande plus assez pour rester son dieu. L’évangile séminal sur un petit air d’accordéon, aussi mystique qu’une pute sous la lumière rouge des néons. Je comprends que certains préfèrent les néons et les néo-codions.

Faut vite se barrer loin danser un tango au son du bandonéon. Sinon on se réveille avec l’huissier à la porte pour les traites impayées du crédit auto et la salope qui s’est barrée en laissant les mômes dans le congélo.

C’est toxique, la pensée mène trop loin, surtout quand elle est gorgée d’alcools et de poèmes saturniens.

Ce serait plutôt le saturnisme à mon avis, je me suis bien trop abreuvé de pétages de plombs.

Je roule, je roule mais je n’amasse rien. Rien d’autre que le bruit de l’air sur la voiture et le silence du vide qui emplit ma tête.

Malgré tout un son s’entête. Il persiste et de faible remous devient vague assourdissante.

C’est le son du ridicule. Cet enfoiré refuse de nous tuer. Comme un entomologiste il nous analyse à la loupe en train de se débattre sur la planète qu’il a construite. Moi aussi à l’école on m’a parlé du big bang mais la maîtresse a bien omis de nous dire que c’est autour de la connerie que tournent les astres. Son feu surpuissant, invincible, inextinguible chauffe la gueule des imbéciles heureux d’être nés. Il n’y a guère que les ânes bâtés qui soient capables de profiter de la vie. Un acte dérisoire. De nos jours, c’est la jugulaire caressée par une lame de rasoir qui est à prendre au sérieux.

Je repense à l’institutrice sans aucune nostalgie. Je la tirerais probablement aujourd’hui, si ses seins ne sont pas rabougris.

Qu’est ce qu’on en a à branler du soleil quand on vit dans l’obscurité 24 heures sur 24. 24/7 disent les américains, comme ci cette équation contenait la formule de leur agitation vaine et pathétique. Une formule secrète que tout le monde leur envie. Même au fond d’un bidonville y’a toujours des crétins pour fantasmer sur le soda, les hamburgers et les baskets. Rêver de contempler des villes aux dimensions si énormes qu’elles ne peuvent être conçues que pour l’habitat des inhumains.

T’as raison d’aimer la vie si t’aimes les dollars. Je préfère une mort éblouissante comme la fin d’un bon polar. Je n’étais pas en quête de sens, je menais, comme un privé de seconde zone, une enquête sur sa disparition. Hélas je n’ai pas trouvé l’assassin, c’est lui qui m’a retrouvé.

Marcuse a encore tenté de revenir dans mon esprit. Il a failli, mon cerveau était bien à l’abri dans l’habitacle de la voiture.

En fin de compte l’homme est plus dangereux chez lui que sur les routes. Là-bas il n’a pas de radar pour l’inciter à toujours se dépasser. Il aime sa voiture plus que lui-même, ce n’est pas un secret. C’est son amour infini qui le pousse à la traiter mille fois mieux que ses congénères.

Je crois que ça dégénère. L’ivresse me fait mal, elle me rend lucide.

La drogue quant à elle est proscrite parce qu’elle est propice à la réflexion. Quoique celles de synthèse et vendues dans la plus parfaite légalité inversent la tendance. Je dépense pour ma santé donc j’essuie les plâtres pour le prochain grand groupe pharmaceutique. Il joue à guichets fermés. Son grand tube morphinomane a été remixé par le DJ Wall Street, tout le monde vient sur la piste en stress pour écouter son fameux Prozac. C’est le titre phare de son album vendu à des millions d’exemplaires, suicides et autres histoires. Les chansons sont aussi vaines que les écrits de Marcuse, sans pourtant leur ressembler. Ça doit être un truc d’artiste !

A quoi bon ?

J’ai eu le coup de foudre pour un camion que j’ai vu venir en sens inverse. Ça tombait bien il transportait des planches de sapin.

La mort a refusé de nous marier. Cependant elle m’a étreint suffisamment fort pour que son souvenir me hante. Mon esprit lui appartenait déjà elle n’a pas eu grand peine à s’y sentir à l’aise. Lorsque l’on m’a extrait, je devrais plutôt dire arraché à la tôle ma vie ne tenait plus qu’au fil ténu du lien social.

Après plusieurs tentatives pour m’embobiner j’ai saisi ce que lui et sa chienne de mère, la société, étaient vraiment.

La société c’est un peu comme la femme qui te dit tous les soirs qu’elle t’aime et â côté de laquelle tu t’endors en toute confiance. Rien de répréhensible jusqu’à ce que tu te réveilles en pleine nuit parce qu’elle se repaît de ta chair.

Elle ourdie la vie dans l’ombre et expose la mort en pleine lumière, ou c’est l’inverse, je ne sais plus.

Si j’avais su je me serais crevé les yeux. Un aveugle évite au moins de contempler la laideur du monde. Un homme devrait savoir qu’avec celle qui le ronge de l’intérieur, la vue est un sens superflu. Il ne pourra jamais contempler autant de laideur qu’en lui-même. Ouvrir les yeux sur soi et son appartenance au genre humain, c’est le plus affreux des cauchemars que j’ai jamais eu. Le pire c’est que j’ai beau essayer de me réveiller, je ne fais que de me rendre compte que je le suis déjà.

C’est seulement dans un fauteuil roulant et un corps difforme que je me suis senti serein. L’humanité me regardait avec dégoût, je ne faisais plus partie de ses rangs. Je la regardais avec tendresse, comme on regarde un enfant.

Merci à Guillaume Laborde pour l'illustration

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