« Je suis un gars du sud des États-Unis, un gars qui ne demande qu’à être flemmard et à lézarder, cela s’entend sur mes disques. N'importe qui sonnant ainsi ne peut être que dans le coup, non ? »
Alex Chilton est mort et j'ai un peu pleuré en écoutant dans mon coin Third/Sister Lovers. Je n’aurais pas dû pleurer, je devrais pleurer moins souvent pour les gens que je ne connais pas vraiment, et puis de toutes les façons Alex Chilton détestait ce disque « une daube sirupeuse et ringarde avec des chansons qui ne sont saines pour personne... » Vous qui savez tout d’Alex Chilton (Les Box Tops, Big Star, son faux frère maudit Chris Bell, sa discographie erratique...) savez qu'Alex avait de bonnes raisons pour dénigrer ainsi cet album : c'était son machin noir, son grand disque malade, une chose qu'il avait enregistrée dans la pire période de son existence ; entre deux éclairs de lucidité, dans l’alcool, la drogue et la dépression... un truc qu'il n'avait vraiment jamais fini, la musique consumée d'un type largué et tout seul avec un vétéran rockabilly dans le fond (Jim Dickinson) . Third (Sister Lovers) est vraiment sorti plus tard, tout le monde sait que c'est un disque parfois bouleversant, une étoile noire... Alex ne pouvait lui se l'avouer, parce que se l'avouer c'était presque s'avouer, plus que survivant, fantôme... et Alex n'était pas un fantôme il était vivant. Comme Jonathan Richman, il sortait des disques de temps en temps, il vivait tranquillement... Il y a cinq ans il avait failli disparaître emporté par l'ouragan Katrina , finalement c'est son cœur qui l'a emporté, on est toujours trahi par son cœur.
Vous pouvez écouter l'artiste chanter (au-dessus) et parler (en dessous), merci pour lui...
Je suis arrivé dans tout ce truc presque par hasard. Il y avait un groupe de Memphis qui s’appelait Ronnie And The Devils, ils sortaient des disques mauvais et sans succès... J’ai rejoint leur line-up et un jour on m’a demandé de chanter pour voir ce que donnait ma voix... La première chose que j'ai enregistrée est devenue ce hit énorme « The Letter » J'étais un gamin de seize ans, frustré par le manque d'argent et le manque de liberté et puis là soudain j'ai eu tout l'argent et toute la liberté que je pouvais espérer...
Si j’avais été un vrai fan de ce que nous faisions avec les Box Tops, ce qui n’était pas le cas, j’aurais pu prendre la grosse tête, penser que j'étais très bon et terminer comme Jimi Hendrix ou Jim Morrison. Mais j’ai gardé les pieds sur terre car notre situation était épouvantable : nous n’avions aucun contrôle sur ce que nous faisions, les producteurs nous disaient comment jouer, comment chanter. Je ne pouvais pas intervenir ou clamer mes désaccords, j’aurais eu peur de me faire jeter, de me faire renvoyer à l’école. Le choix était simple : soit sortir du jeu, soit faire ce qu’on m’ordonnait et accepter.
Je crois que la plupart des gens me considéraient comme un p’tit gars chanceux et un peu fou. Ils devaient penser qu’il y avait quelque chose d’inhabituel chez moi, sans savoir quoi... Mais je n'avais pas vraiment de talent, je ne savais même pas jouer du moindre instrument ! Je ne savais que chanter. Ce n’est qu’au bout d’un an que je me suis mis à jouer de la guitare. J'ai ensuite commencé à écrire quelques morceaux. Le premier a été enregistré sur le troisième album des Box Tops.
Avec toutes ces histoires de managers, de producteurs, au bout d'un moment j'ai eu l'impression d'avoir des menottes aux poignets. Je pensais que mes propres idées devaient avoir plus d’importance, c'était frustrant et ça me tourmentait beaucoup, mais la seule alternative était de tout plaquer et de retourner à l’école. Quant à ma famille, elle était d’accord avec ce qui m’arrivait, sans intervenir, « laissez faire » était le mot d’ordre.
J’ai quitté le groupe au début de l’année soixante-dix. Après un concert, je suis parti, ce n’était plus tenable. Je pensais pouvoir monter un autre groupe et continuer à gagner de l’argent. J'attendais des offres de maisons de disques, elles ne sont jamais venues... j’aurais bien voulu publier mes disques et les vendre, mais je ne me battais pas pour la fortune et la gloire, tout ce que je désirais réellement était assez d’argent pour vivre, ce qui n’a pas toujours été le cas... La musique est la seule chose que je sache faire.
Il y a eu Big Star et après Big Star, je n’ai pas fait grand-chose, je traînais. J'ai enregistré deux trois choses en 1975, mais je n'intéressais pas grand monde... Plus que de l’amertume, je ressentais plutôt une espèce de peur, celle de savoir comment j’allais gagner de l’argent pour vivre. J'avais eu beaucoup de succès commerciaux avant... je ne courrais pas après la gloire et la fortune, tout ce que je voulais c’était jouer un peu de musique et en être récompensé, cela suffisait à mon bonheur. Je n’ai jamais été dévoré par l’ambition de devenir une star, ce n'est pas important. J’avais déjà été célèbre une fois dans ma vie... God ! J’étais déjà bien plus célèbre que je ne le voulais vraiment !!
Avoir un groupe, répéter, tout ce cirque est laborieux, et très emmerdant, je n’en avais pas envie... Après Big Star de 73 jusqu’en 82, j’ai commencé à sombrer dans des problèmes de drogue et d’alcool... C’était le cas de beaucoup de gens autour de moi... je ne sais pas vraiment pourquoi... fuir la réalité ? J’étais très préoccupé, très tourmenté par le fait de gagner de l’argent, voilà ce qui m’a poussé à boire, car on devient frustré à jouer du rock’n’roll sans pouvoir gagner sa vie avec... Je n’ai pas joué, voyagé, entre 73 et 79... Ensuite j’ai fait un peu de production, j’ai sorti quelques disques, de quoi avoir assez d’argent pour me débrouiller.
Voilà, voilà... Si, lorsque j’avais douze ans, quelqu’un m’avait dit que je serais musicien de rock pour le reste de mes jours, que j’en vivrais, j’aurais exulté « Dieu, c’est fantastique ! Je suis tellement heureux de savoir ça ! »