En début de semaine, tous à droite étaient sonnés par l'ampleur du désaveu électoral infligé à l'UMP au premier tour de scrutin. Tous, sauf un. Nicolas Sarkozy, dans son palais de l'Elysée, niait l'évidence. Il préparait les «éléments de langage», ces fameux arguments pré-mâchés que les bons soldats de Sarkofrance doivent ensuite répéter sur tous les plateaux de télévisions. Puis il demanda qu'on s'adressa aux abstentionnistes de droite, aux électeurs frontistes et aux plus centristes des écolos. Qu'importe le grand écart. Nicolas a l'habitude.
«Ce n'est pas un désaveu».
Ce fut la première réponse, dès dimanche soir 20 heures, la pire des réactions, celle qui mis en rage jusqu'à Yves Thréard, le directeur de la rédaction du Figaro, et bon nombre de dirigeants et d'élus de l'UMP. Sarkozy s'est déclaré satisfait, soulagé par le résultat devant quelques élus et candidats UMP. Les conseillers présidentiels ont complété l'argumentaire pour les journalistes, soulignant que «L’UMP est en tête dans neuf régions, contre six en 2004», que le Front National a recueilli moins de voix qu'en 2004, que «le Modem a disparu». Les responsables de Sarkofrance, et leurs soutiers, n'ont pas tardé pour critiquer le mode de scrutin. Fillon l’a évoqué. Frédéric Lefebvre l’a également rappelé. Le clan sarkozyste veut changer tout ça. Il avance comme raison le niveau élevé de l’abstention. Les Français ne comprendraient pas le mille-feuille administratif territorial. Passer à une élection à un tour est la meilleure façon de sauver le soldat UMP pour les élections à venir. Le parti arrivé en tête emporte la mise. C’est l’un des aspects les plus contestés de la réforme territoriale.
Ce déni de réalité présidentiel fut incroyable, symptomatique et décisif. Incroyable, car on reconnaissait encore à Sarkozy, à droite comme à gauche, un réel sens des réalités. Dimanche, il a perdu tout crédit. Il y a deux ans, à l'issue des élections municipales, il avait déjà procédé de la sorte. Mais l'échec était moins marqué. Ce déni est aussi symptomatique de l'homme, de son caractère. Ce n'est pas la première fois que son narcissisme l'aveugle. Son ancienne épouse Cécilia l'avait confié : "Nicolas Sarkozy a un réel problème de comportement". Entouré de courtisans qui n'osent le contredire, persuadé d'avoir toujours raison, le Monarque a perdu prise. Ce déni est aussi décisif, car il a aggravé la situation de son propre camp. François Fillon s'était énervé de la réaction de son chef, en sortant de l'Elysée dimanche peu avant 20 heures. Alain Juppé s'est lâché sur son blog. Un député UMP a qualifié de Bisounours le président français en sortant de l'un de ses débriefings élyséens.
«On a des réserves de voix.»
Du Figaro à Libération, de TF1 à France2, de RTL à France Inter, tous les médias ont interrogé les ténors de l'UMP sur leur fameuse réserve de voix. Xavier Bertrand ou Frédéric Lefebvre ot préféré dénoncer « les tractations », dans des « hôtels », la « politique à l’ancienne » des négociations de fusion de listes PS/front de gauche/Europe Ecologie. Il faut défendre la stratégie du parti unique. On oublierait presque comment l'UMP a constitué ses propres listes régionales: en août 2009, Nicolas Sarkozy a invité les Chasseurs/Pêcheurs et le MPF de Philippe de Villiers à se joindre à lui, leur proposant strapontins contre ralliement. Un jeudi après midi de janvier dernier, Sarkozy a même fait les listes « d’union » de la majorité, tout seul dans son bureau, à l’Elysée. Puis, l'obéissant Bertrand, hué à l’estrade, les a fait ratifier par des délégués UMP agacés. Quelques semaines avant le scrutin, le ministère de Jean-Louis Borloo a signé un partenariat avec la Fédération des Chasseurs pour leur permettre d'entrer dans les écoles avec leurs armes et expliquer à nos chers bambins les bienfaits du développement durable version chasseur. Tout est bon pour quelques suffrages.
Dès mardi, l'UMP en a appelé aux abstentionnistes, aux écologistes et aux frontistes. Frédéric Lefebvre répèta que voter FN, c’est voter socialiste. Jouanno et Borloo ont été appelés à la rescousse pour convaincre que l'écologie peut être à droite. Ils ont évité de commenter la décision du Conseil d'Etat d'autoriser la construction d'une autoroute de contournement de Strasbourg. Le gouvernement de la (Sarko)France ne travaille plus plus la France mais pour l'UMP des régions. Les candidats-ministres (19 au total) sont évidemment sur le terrain : Joyandet laboure la Franche-Comté, Valérie Pécresse fait des tours en bus en Ile-de-France, Dominique Bussereau en Poitou-Charentes, Bruno Le Maire en Bretagne. Le premier ministre sillonne les régions. Même les ministres non candidats sont appelés en renfort pour défendre le Monarque : Jean-Louis Borloo visitait Lourdes. Mercredi et jeudi, Michèle Alliot Marie était dans le Nord, Eric Woerth dans les Vosges. Jeudi, Luc Chatel à Montpellier, Laurent Wauquiez dans l'Ain, Pierre Lellouche à Annecy, Roselyne Bachelot dans les Pays de Loire. Christian Estrosi a même fait envoyer des millions de messages téléphoniques publicitaires en région PACA.
Mercredi, Fillon et son patron ont été réduits à tenter de récupérer l’assassinat d’un policier français par un terroriste de l’ETA, quite à tout mélanger : violence dans les stades (Sarko disait la même chose en … 2005 !), agressions de policiers et attaque terroriste. François Fillon lâche une bourde, en annonçant précipitamment la mort d'un policier grièvement blessé lors d'un contrôle routier du côté d'Epernay. Jeudi, Sarkozy a joué l’émotion, la compassion et la révolte avec un autre policier, tué par un terroriste basque cette fois-ci. Les ingrédients habituels étaient là : une rencontre avec la famille, une visite filmée au commissariat du policier assassiné, une allocution grave et énergique sur les marches à la sortie, et l’annonce totalement démagogique de peines plus sévères, en l’occurrence l’application «systématique» d’une peine de sûreté incompressible de 30 ans pour les meurtriers de membres des forces de l'ordre. Le Monarque a même déclaré qu’il prononcerait lui-même l’éloge funèbre du policier mardi prochain. Si Sarkozy n'a pas changé, les Français, eux, ne sont plus dupes.
L'opération fait choux blanc. La formule ne marche plus. Nicolas Sarkozy est en charge du sujet depuis bientôt 8 ans. On a l'habitude de cette émotion sécuritaire qui ne débouche sur rien. Mêmes les policiers sont agacés de cette récupération de dernière minute, ulcérés par la réforme de la procédure pénale, meurtris par les polémiques sur les gardes à vues, épuisés par une politique du chiffre qui les brouille avec la population sans produire pour autant de résultats.
Nicolas Sarkozy a bloqué sa fin de semaine pour participer à la campagne. Lors du Conseil des ministres, mercredi à l'Elysée, le Monarque a exhorté son gouvernement à se «battre jusqu'au bout ». Le vocabulaire est guerrier. L'heure est grave. Chacun a une feuille de route. Xavier Bertrand déjeune avec son président. Le soir même sur CANAL+, il rechigne à dévoiler les instructions présidentielles. Sarkozy fait campagne, mais en cachette. Vendredi, pour sa seconde journée « off », Nicolas Sarkozy a rencontré des représentants des professions agricoles. Il tente de faire oublier son désastreux passage au Salon de l’Agriculture, voici 15 jours. Son absence à l’inauguration – il préféra se reposer au Cap Nègre – a laissé des traces que sa « table ronde », cloitrée dans un salon fermé en marge de la manifestation n’a pas fait oublier. En sortant de l'Elysée, les participants ont refusé de considérer que cette réunion avec un quelconque lien avec le scrutin régional. Sans blague ?!
La droite élastique
Finalement, le camp présidentiel a payé les lacunes politiques de son Monarque. L’UMP est en panne. Des voix se font entendre pour réclamer la fin du parti unique et de l’ouverture. L’UMP souffre certes des promesses non tenues : chômage, déficits publics, insécurité, précarité, real-politique à l’international, l'échec est patent sur tous les sujets. Le plus grave est que Sarkozy avait les mains libres. De mai 2007 à septembre 2008, le Monarque avait tout loisirs d'appliquer son programme. L'opposition politique était inexistante. Les résistances sociales ont été rares.
Le parti unique de la droite est donc surtout pénalisé par son « leader maximo ». Inconséquent, instable, nerveux, narcissique au point de nier la réalité, Nicolas Sarkozy est un boulet pour la droite. Depuis 2007, il a dit tout et son contraire. Il a cité Jaurès et fait voter le bouclier fiscal. Il a promis le travail, et détruit l’emploi avec ses défiscalisations d’heures supplémentaires prématurées. Il a parlé droits de l’homme, et a embrassé Khadafi, Bongo et El Hassad. Il a fustigé l’inconséquence des banquiers, mais a attendu 18 mois pour pondre une super-taxe minimaliste sur les bonus des traders. Il a lancé un Grenelle de l’environnement, mais s’est tu sur le thon rouge et les OGM, et favorisé la construction d’autoroutes. Quand à la filière automobile, il n’a même pas saisi l’opportunité de la crise pour l’inciter, aide à l’appui, à se reconvertir massivement vers le transport collectif. Sarkozy change de logique et d'argument en fonction du contexte et de son auditoire : aux écologistes, il promet la lutte contre la pollution, la déforestation et le réchauffement climatique. Aux agriculteurs, il promet de ne pas s’en faire avec les normes environnementales. Aux salariés, il promet travail et partage de la valeur ajoutée ; aux patrons, il donne flexibilité et défiscalisations. Tout et son contraire, pourvu que ses auditoires applaudissent. Le problème, c'est qu'ils n'applaudissent plus.
Ces derniers jours de campagne, l’UMP a donc dû jongler avec ces contradictions, et droitiser son discours (pour son cœur électoral) tout en tendant la main aux écologistes. Quel est le projet politique de l’UMP, en région comme ailleurs ? Limiter la casse à tout prix, pas plus.
La France en panne
Seule Christine Lagarde semble rester au poste. Dans une interview au Financial Times, elle s'est mise à dos le gouvernement allemand. La ministre y critiquait la politique économique de nos voisins depuis une bonne vingtaine d'années, qui conjugue maîtrise des salaires (et donc une consommation intérieure faible) et fortes exportations, notamment industrielles. Pourquoi ce sulfureux timing ? La France et l'Allemagne se disputent. Angela Merkel ne veut pas aider financièrement la Grèce. La Sarkofrance a au contraire annoncé son soutien. La ministre Lagarde a juste jetté un peu d'huile sur le feu. On appelle cela le sens du timing. Le gouvernement pressent-il qu'après la Grèce, l'heure des comptes sonnera bientôt en Sarkofrance ? Mercredi, les déficits publics se sont rappelés au bon souvenir du gouvernement. La Commission européenne a critiqué l’optimisme des prévisions françaises de croissance (+2,5% en 2011) qui, recettes fiscales aidant, devait permettre à la France de ramener son déficit public sous la barre des 3% du PIB en 2013. Sarkozy avait déjà obtenu un répit. La date initiale, avant la crise, était 2012. Eric Woerth, le ministre du budget et trésorier de l’UMP répond qu’il prépare un nouveau plan d’économies pour « avril ou mai ». Il se murmure que la TVA sociale, c’est-à-dire l’imposition supplémentaire des biens et services pour financer l’assurance sociale, reviendra bientôt dans les projets gouvernementaux. Sarkozy lui-même l’a mentionnée dans son interview au Figaro le 12 mars. D'autres évoquent une réduction drastique des dépenses d'assurance maladie. Woerth a aussi demandé à une commission d'experts de lui proposer des règles d'ajustement automatique des dépenses d'assurance maladie en cas de «dérapages ».
Sur tous ces sujets, Nicolas Sarkozy était absent. Pas un mot, pas un communiqué, pas une allusion relayée par les habituels conseillers en com'. D'autres sujets, plus graves que le sort politique du Monarque méritaient aussi un peu d'attention et de travail présidentiels. Les expulsions locatives ont repris lundi. La trêve hivernale est terminée. Le secrétaire d'Etat au Logement Benoist Apparu n'avait qu'une idée, proposer un numéro vert de conseil pour les locataires précaires ... et les propriétaires.
Au final, l’abstention s’annonce encore plus importante pour ce second tour que dimanche dernier. Dix pour cent des Français en âge de voter ne sont même pas inscrits. Sur le solde, 45 millions d’électeurs, on en attend à peine 20 millions dans les urnes. Pourtant, les deux camps, droite et gauche, n’ont pas ménagé leurs efforts. Dimanche, le désaveu s'annonce cinglant. Mais Nicolas Sarkozy ne le reconnaîtra pas. Il est ailleurs, déconnecté , inutile et contre-productif. Même pour son camp.
Ami Sarkozyste, reste chez toi.