Anthologie permanente : Guy Chambelland

Par Florence Trocmé


Bretonne

Maisons cornues
talus à merles
vaporeuse lumière
ardoise et craie
beauté je suis debout.
Elle s’installe sur le lit très haut
les genoux très en avant
la croupe très en arrière un peu haute
avec les mains à plat étoilées
comme les danseuses balinaises
et dit
pas tout à fait de profil
(la bouche entrouverte comme pour)
juste au-dessus de son épaule gauche :
j’ai une âme de sainte et de putain
encule-moi fais-moi en soie.
Grande femme paysagiste saurai-je jamais
qui je saisis enfin de la mer ou du ciel
dirai-je un jour quel dieu
tonnait alors dans mes couilles ?
(p.19)
*
Elle bouffe
belle
dos nu
Toute tendresse approche le gras.
Qu’elle chie, la garde humaine
la fait plus touchante
réveille même
le poète blasé des coïts trop simples.
Mais la chair promise aux vers
mais la chair liquéfiée
qui y banderait ?
A quoi crûmes-nous ?
(p.24)
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par Jean-Pascal Dubost
bio-bibliographie de Guy Chambelland


La ville est une brassée de culs
avec parfois c’est vrai des yeux
comme un ciel dans les feuilles
Beauté quelle viande
promise aux vers !
Poète ?
qui n’est pas dupe de sa durée
mais qui bande.
Petits dieux d’avant la mort
salut salut
La mort serait-ce pas
la fille la plus désirable
(la toute inconnue)
dénudée d’un coup
au premier regard
foutue à la prime érection
tout signe d’approche inutile
désir sans perte spasme unique
sur le gland roi.
(p.37)
*
Reine noire

Nul ne l’aborde
la rue ne change pas quand elle passe
on reste neutre
mou comme les lâches
comme la plupart
comme les sales cons qui n’ont jamais
flairé l’amour aux culs
savouré les batailles d’Éros
Mais qu’elle parle
la forte la logique la nette
et qu’on l’écoute
(humble comme la taupe
entre les cils et la fumée)
qu’elle regarde et que ses yeux
fouillent jusqu’au sexe ceux du mâle
lourds de ses seins à quatre mains
aussi lisses qu’est rêche sa toison
Alors ça flambe
c’est elle la belle la plus belle la seule belle
la fille à drague
la reine noire
celle qui sacre l’amour au viol
la bête divine qui réveille un hôtel
la guerrière la femme enfin
celle qui plante qu’elle fait femme
et réalise exorbitant la bitte
debout comme un totem
la seigneurie toujours renversée d’un coït
où les dieux le foutre et la mort
dessus dessous qu’importe
composent le seul poème vivable
(p.49)
in Noyau à nu, éd. Saint-Germain-des-Prés/Le Pont de l’Épée, 1977
*
Marie-Salope

T’en fais pas ma grande possessive
ma fille à boxeurs à poètes
ne crains pas d’être au jour aussi seule que je suis
continue de rouler ton cul entre les mâles
d’être au chaud dans tes seins et le rouge de tes jupes.
Je n’oublie pas tes taches de rousseur
ta croix nocturne à odeur de varech
je n’oublie pas tes mots de haute ordure
Je n’oublie pas non plus
ta veulerie de petite bourgeoise
Je vieillis mais
je le sais
Chaque matin c’est plus difficile mais
femelle de sang
femelle de foutre
c’est à la même fenêtre d’air libre
que j’aime encore nos spasmes
c’est à la même aune de graal
que je mesure nos draps tes cris.
(p.16)
*
J’étais dehors, j’avais
le sillon des femmes, la douleur des cigales, la nostalgie des foins, j’étais le diable, avec des mains cornues, des narines de chat, des oreilles de tournesol. Le silence dira le reste, au réveil, au bout des blues interminables.
Je m’enfermai. Je fus
d’abord du poil de bête où l’amante aime passer ses doigts en gémissant si fort dans les hôtels de passe qu’aux trous des portes s’allume, comme aux vitraux des cathédrales la gloire de dieu, l’œil sinistrement beau du voyeur à genoux derrière.
J’aurais pu être
laliberté dissipant l’histoire, le couple et l’éclair, les seins la toison l’alouette, la fleur de la beauté, l’amour, l’adultère, le graal, la mort au bal, l’œuf translucide.
J’aurais pu être
l’autre et le tout.
   Croc mou des jours et piètre appareil de langage, je restai moi, c’est-à-dire la pitié des autres, l’échec habitable.
   Comme le soleil épouvantable se cachait dans les nuages, comme un aigle tournait serein cerclant les taupes, un monde de miroirs verticaux me cerna.
   Nulle n’y vient, que ma légende.
(p.47)
*
Le satyre
   Planté à la sortie des bureaux des midinettes, des usines de bonnes femmes, ou des collèges de petites filles, il fait provision de bas qui filent, de poudre de riz, des rondeurs seins, du sillon deviné des croupes, des rires stupides où parfois merveilleusement manque une dent. Mais il ne bouge. Longues jambes du plaisir, beaux regards du vice, repartez déçus. Autant caresser les statues…
   C’est seulement quand la rue se vide, quand seuls les marronniers habitent l’espace, au solstice de midi ou au crépuscule plat, que le spasme enfin l’envahit, et le jette dans la glaise du rêve, aux accouplements toujours neufs, dont la mort tire les ficelles, comme, sereine, la rivière au bas des grands villages en ruines.
(p.53)
in Courtoisie de la fatigue, Guy Chambelland/Saint-Germain-des-Prés, 1971
par Jean-Pascal Dubost
bio-bibliographie de Guy Chambelland