Dernier extrait du livre de Serge Portelli, (vice-président au Tribunal de Paris, président de la 12ème chambre correctionnelle) Le Sarkozysme sans Sarkozy, chez Grasset. Extrait du dernier paragraphe de ce livre.
« Le pire n'est pas impossible. Il n'est pas non plus inévitable. Le sarkozysme est une réalité, très lourde, pas une fatalité. Il est possible de quitter cette frontière dangereuse de l'Etat-limite et de revenir dans le plein pays de la démocratie. Mais il ne suffira pas de changer de gouvernant. Le mal, infiniment plus profond, n'a pas attendu pour s'installer que Nicolas Sarkozy surgisse dans le paysage politique français.
Il faut d'abord réapprendre à penser. Entrons dans les bibliothèques, ou leurs équivalents d'aujourd'hui. Ouvrons les livres. Tous ceux, innombrables, qui nous apprennent, siècle après siècle, de quoi sont fait les hommes. Tous ceux, qui, par leurs oppositions et leurs contradictions mêmes, nous révèlent la complexité infinie de la nature humaine. Ouvrons les livres et plongeons en nous. Inlassablement.
Nous n'avons jamais eu autant besoin d'un regard en profondeur sur l'humanité. La philosophie, l'histoire, les sciences, humaines ne nous ont jamais été aussi nécessaires qu'en ce début de XXI ème siècle. La part purement humaine de la vie, inchiffrable, doit être notre lumière. Ce qui échappe aux bilans, aux QCM, aux statistiques, aux quotas.
Pourquoi telle chose nous plait? Pourquoi nous battons nous? Pourquoi cette rencontre avec ce médecin nous a changé? Pourquoi cette justice nous semble bien rendue? Pourquoi telle œuvre, tel spectacle se sont-ils inscrits si profondément en nous?
Une rencontre, un regard, une écoute, une tendresse, un temps suspendu, un autre volé, un détour, une erreur, une hésitation, une humilité, un partage, une intimité, un silence, une révolte, un courage, une main tendue... L'inchiffrable n'est pas loin d'être indicible. Cette part de vie ne fera jamais l'objet d'un rapport, d'une commission, d'une loi. Et pourtant sans elle la vie n'existe pas.
C'est cette part de vie qu'on essaie de nous faire oublier. Mais c'est elle qui resurgit presque naturellement, presque spontanément aujourd'hui. Qui remonte à la surface comme une bulle d'air rejoint nécessairement la surface de l'eau. Le maillage de plus en plus serré, les surveillances de plus en plus étroites, les contrôles de plus en plus absurdes, les injustices de plus en plus criantes, font naître en retour un questionnement toujours plus large et plus profond sur le sens de ces contraintes et de notre soumission. »
Merci à Fr. No. pour le prêt de ce livre, édifiant.