Plus que dans une société de consommation, nous vivons dans un monde de l’inutile. À vouloir forcer le citoyen à consommer, à vouloir susciter des besoins artificiels à tout prix, la société est parasitée par une invasion d’inutilités : associations inutiles, recherches inutiles, produits inutiles, livres inutiles, productions soi-disant artistiques inutiles, guerres inutiles, discours inutiles, grèves inutiles, lois inutiles, métiers inutiles, médicaments inutiles, etc …
Cette production effrénée de l’inutile crée un brouillard qui dissimule l’essentiel et détourne les esprits du fondamental. Cela conduit à privilégier la forme sur le fond, comme le démontrent les contestations de tous bords sur tous les sujets aussi futiles soient-ils, le discours électoral qui sombre dans les profondeurs de la médiocrité et de l’absence sidérale d’idées. Les revendications syndicales sont devenues purement catégorielles, sacrifiant toujours l’intérêt général à l’intérêt particulier et corporatiste, et se réduisant à la simplissime exigence de l’augmentation des moyens. Les soi-disant débats d’idées se réduisent à l’anecdotique, à la recherche de la petite phrase à la limite de l’injure, quand ils ne sombrent pas dans une confusion inaudible. Les réunions électorales sont le théâtre de discours qui n’ouvrent aucune réflexion, déroulant un florilège de mots creux que n’importe qui pourrait s’attribuer, se réduisant le plus souvent à la seule critique acerbe de l’adversaire. Là est la source de l’abstention qui ruine le fonctionnement démocratique. La télévision est inondée de séries qui se ressemblent toutes, d’émissions de soi-disant « télé-réalité » totalement artificielles et arrangées par avance, sans aucun intérêt autre que de flatter le peuple dans ce qu’il a de plus médiocre, de séries bâclées, décervelantes et jouées par des gens sans talent aucun. Les librairies sont envahies par d’innombrables ouvrages éphémères de non-écrivains, tout aussi éphémères, qui n’ont d’autres sujets qu’eux-mêmes et qui racontent leur vie dénuée de tout intérêt, mais qui leur permettent de distiller à longueur d’interviews le sacro-saint « Dans mon livre … ». La production musicale propose en permanence des « œuvres » d’une médiocrité confondante et prétentieuse et qui ne durent que le temps, pour la maison d’édition, de faire grossir quelque peu son chiffre d’affaires en jouant des effets de mode qu’elle crée elle-même. La parapharmacie met sur le marché une quantité considérable de crèmes soi-disant miracle et totalement inefficaces, mais profitant de la crédulité imbécile du chaland. Sur les rayons de supermarchés s’alignent des quantités de produits qui sont fondamentalement identiques, parfois en provenance du même producteur, et qui ne diffèrent que par leur présentation, leur prix et leur emplacement dans les rayons. Des salaires faramineux sont distribués aux footballeurs et aux traders, c’est-à-dire à des individus totalement inutiles, quand ils ne sont pas nuisibles, à la société. Nous sommes passés progressivement de la société d’abondance à la société de consommation puis à celle de l’inutile. Il est difficile de dire qu’il s’agit là d’une évolution positive. Dans le même temps, 4 milliards d’êtres humains vivent avec moins de 2$ par jour. Pour ceux-là, même ce qui est indispensable vient à manquer.
Critiquer la société de l’inutile, apanage des pays développés, ne justifie pas pour autant une politique de la décroissance. Comment peut-on souhaiter la décroissance alors que l’humanité comptera bientôt 3 milliards d’êtres humains supplémentaires ? Ceux qui prônent la décroissance font preuve d’un égoïsme démesuré en acceptant que les plus pauvres et les hommes à venir n’aient rien à eux. Pour pouvoir partager, quelle que soit la forme économique que peut prendre ce partage, il faut nécessairement avoir quelque chose à offrir. Les tenants de la décroissance oublient que tout système, social et économique, n’est pas isolé du reste du monde et que ce qui se passe chez nous a obligatoirement des conséquences ailleurs. Vivre dans l’inutile et l’égoïsme serait-il le propre de l’homo-économicus développé ?