Contrairement aux affirmations de Xavier Bertrand sur l'explosion du nombre de fonctionnaires dans les régions socialistes, la proportion de « recrutements volontaires » a plus progressé en Alsace et en Corse.
Xavier Bertrand, secrétaire national de l'UMP, l'a martelé dès le soir du premier tour : la gauche, c'est plus d'impôts locaux et plus de fonctionnaires dans les régions. Le premier reproche ayant déjà été analysé, examinons le second. La gauche a-t-elle été dépensière, bureaucratique, « fonctionnarophile » ? Le thème était déjà développé dans le « Livre noir des régions socialistes », édité par l'UMP en novembre.
Pourtant, en distinguant les recrutements liés à la décentralisation, donc obligatoires partout, des recrutements « volontaires » choisis par les régions, on s'aperçoit que la droite a plus embauché que la gauche.
410% d'augmentation pour les « frais de personnel »
Dans le Livre noir de l'UMP, un chiffre revient, attribué à la direction générale des collectivités locales (ministère de l'Intérieur) : les frais de personnel auraient augmenté de 410% dans les régions entre 2004 et 2009, passant de 505 millions d'euros à 2,5 milliards. En examinant les comptes administratifs des régions entre 2004 et 2009, on aboutit bien au même résultat.
Le poste budgétaire « frais de personnel » a été multiplié par 4,5 en Midi-Pyrénées, par 5 en Limousin, par 7 en Basse-Normandie… Et par 3,9 « seulement » en Alsace, gérée par la droite, ce qui semble confirmer la thèse UMPienne. Enfin, uniquement si l'on oublie certaines régions de gauche, qui obtiennent des résultats comparables à l'Alsace, telles le Nord-Pas-de-Calais ou la Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
Sauf que l'augmentation vertigineuse des frais de personnel englobe non seulement les recrutements choisis par les régions, dits « recrutements volontaires », mais aussi les transferts de personnel liés à la décentralisation. La loi Raffarin du 13 août 2004 a confié aux départements et aux régions la gestion des personnels techniques, ouvriers et de service (TOS) qui travaillent dans les lycées. Ces anciens fonctionnaires d'Etat entrent donc désormais dans le budget régional.
« C'est une décision du gouvernement Raffarin, votée par un Parlement majoritairement à droite », rappelle François Langlois, de l'Association des régions de France (dominée, comme les régions elles-mêmes, par la gauche) :
« A l'époque, les présidents de région n'en voulaient pas et on ne leur a pas demandé leur avis, alors que ces transferts ont bouleversé l'équilibre en personnel et en budget des régions. »
Entre 2004 et 2009, 51 000 des 58 000 agents supplémentaires dans les régions sont ces fonctionnaires d'Etat désormais pris en charge par les régions. L'immense majorité des frais supplémentaires comptabilisés provient de leur transfert, compensé intégralement par l'Etat. En avançant la colonne « frais » sans montrer sa contrepartie en termes de recettes, l'UMP exhibe un chiffre « choc » mais biaisé.
Recrutements volontaires : la droite en tête
Pour comprendre si la gauche est vraiment plus « recruteuse » que la droite, il convient d'isoler les recrutements obligatoires liés à la décentralisation des recrutements « volontaires ».
L'Association des régions de France a dressé un bilan des effectifs, dans lequel elle distingue les agents transférés par l'Etat, qui ont parfois quintuplé les effectifs, les recrutements de personnel d'encadrement « rendus nécessaires par la décentralisation » et les « recrutements volontaires ».
La Corse, par exemple, comptait 485 agents avant la loi de 2004. Elle a reçu 523 agents passés de la fonction publique d'Etat à la territoriale, complétés par le recrutement de 59 agents d'encadrement pour gérer les nouvelles équipes. Il faut y ajouter le recrutement volontaire de 109 agents.
Calculatrice en main, nous nous sommes amusés à calculer la proportion de recrutements volontaires dans le total, pour chaque région. Surprise, c'est en Alsace et en Corse, les deux régions « de droite » que le pourcentage est le plus élevé. 15% des recrutements dans ces deux régions sont volontaires, contre 3,4% en Ile-de-France, ou 10% en Bourgogne.
Mauvaise foi et ironie
« On peut toujours tout habiller », estime le porte-parole de l'UMP, Dominique Paillé. Regardant le tableau des régions, il cite les mêmes chiffres que l'ARF dans les régions de gauche, mais en considérant tous les recrutements hors transfert comme des « recrutements volontaires ».
Pour l'Alsace, le porte-parole cite des chiffres « donnés directement par Adrien Zeller » (président de la région décédé en août dernier), qui ne concordent pas avec ceux de l'ARF : 400 agents en 2004, 1 380 transferts et seulement 10 recrutements.
Le porte-parole dit ne « pas avoir sous les yeux » les chiffres de la Corse, même s'il admet que la région « est moins bonne élève » que l'Alsace. Devant la demande de données un peu plus précises, il explique ne pas apprécier cette « pointe de doute et d'ironie ».
A l'Association des régions de France, on évoque la « mauvaise foi » et le « langage simpliste » du parti majoritaire, qui « veut faire croire aux Français que les socialistes tapent dans leur portefeuille en mélangeant tout ».
François Langlois, quant à lui, rappelle que dans une ville moyenne comme Grenoble, le budget « ressources humaines » représente 50 à 55% du budget de
fonctionnement. Dans les régions avant 2004, c'était 6%, et aujourd'hui 15% depuis l'intégration des TOS.
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