Toujours le même sentiment dubitatif face à l’argument ténu derrière l’exposition (une pergola que Le Corbusier effaça du dessin d’une de ses villas, anecdote amusante et vaine), toujours la même difficulté à saisir la cohérence de la proposition ici faite, aux liens tout aussi ténus, mais, cette fois, un des artistes de Pergola (au Palais de Tokyo jusqu’au 10 mai) sauve la mise. La force des installations de Valentin Carron est telle, on est tellement subjugué par l’intelligence et la précision rigoureuse de son travail qu’on ne pense plus aux défauts du reste.
Commençons par eux pourtant : on sourit d’abord devant la chaussure irakienne de Laith al Amiri, impact 10/10, profondeur 1/10. Les tuyaux de pneumatiques de Serge Spitzer éveillent en moi le souvenir des messages amoureux que je confiais à ces entrailles métropolitaines dans une autre ère, pré-internet, pré-mobiles, quand l’urgence de l’amour faisait qu’on ne pouvait attendre la tournée du facteur le lendemain. C’est déjà suffisant pour lui en être reconnaissant; l’absurdité du grandiose système inutile mis en place dans le hall du Palais peut faire rêver, méditer sur la vacuité du monde et du progrès ou essuyer une larme nostalgique, mais, là aussi, on ne va pas bien loin sous la surface. J’ai le même sentiment devant l’histoire du skate de Raphaël Zarka : ‘So what?’ (ou pour reprendre un slogan d’une vieille campagne présidentielle ‘Where is the beef?’ - Mondale, je crois)
Face à Charlotte Posenenske, je reste perplexe : c’est un travail épuré, rigoureux, difficile, d’une beauté formelle monastique, mais que je perçois comme détaché du monde, une oeuvre de cénobite en contemplation. La faille vient de ce que cette artiste qui déclarait ‘J’ai du mal à me résigner à l’idée que l’art ne saurait contribuer à résoudre des problèmes sociaux pressants’ cessa justement d’être artiste, arrêta complètement de produire 17 ans avant sa mort : constat sur l’inanité de l’art, son inutilité.
Valentin Carron, donc et la manière remarquable dont ses sculptures occupent l’espace de la grande salle courbe. Les sculptures sur piédestal sont encadrées par des masses murales qui séparent la pièce, qui bloquent le passage,
qui contraignent la circulation et encadrent les corps. Le mur est-il vrai, la sculpture en bronze n’est-elle pas en polystyrène, l’illusion ne règne-t-elle pas ici ? Le corps se mesure à ces masses, l’oeil construit des alignements improbables, c’est un très bel ensemble. Il y a là comme un retour à des pré-architectures anciennes, des mégalithes mystérieux, Le Groumellec peut-être, en confrontation avec des formes plus élaborées, modernistes, citant David Smith par exemple. Quel dommage toutefois de découvrir cette potacherie finale, un petit serpent dessiné au mur dans un recoin final : on se prend à douter, une influence néfaste d’un esprit des lieux malfaisant ?Photos de l’auteur:
Sculptures de Valentin Carron :
1. Les tristes effets de cette anarchie, 5 place de Rome, Löwenzorn
2. L’inavouable extase, Löwenzorn
3. Erde
4. Stark gefrässig nervös, Rance club IV, Löwenzorn