Il serait vain d’essayer de peindre l’embarras dans lequel se trouvait la petite troupe, alors que le brick “Clio” venait de mouiller profondément, dans un port naturel aux eaux sombres et huileuses, protégé des vents du septentrion. Un chariot fut mené, deux solides rameurs eurent tôt fait de le déplacer vers la construction qui était visible depuis plusieurs miles, et qui avait motivé leur changement de cap. Cette terre n’apparaissait pas sur les cartes les plus récentes, mises à leur disposition par l’institut géographique de Paris.
Il serait tout aussi difficile d’imaginer la profusion de végétation qui s’offrit alors à leurs yeux. Toutes les espèces connues s’y trouvaient amassées dans un ordre qui ne pouvait avoir été défini que par la main de l’homme. Le Français remarqua sans tarder une table et deux chaises en bois, abandonnées sur une sorte de pilotis régulier, bien que frustre. Incontestablement, l’endroit avait été habité récemment, des outils paraissaient n’avoir jamais connu d’usage. Dieu sait quels sauvages pouvaient avoir fait fuir les paisibles colons qui, sans doute, avaient apporté avec eux la base d’un campement confortable; aussi nos amis s’étaient-ils convenablement munis de fusils, de balles et de poudre.
A travers les allées, il ne fut pas difficile de pénétrer dans cet endroit humide, presque accueillant s’il ne se fut agi d’une terre inconnue. Au détour d’un immense palmier, qui devait avoir au moins trente pieds de circonférence, s’étendait une plaine où coulait un grand nombre de rus, canalisés dans une matière étrange qui n’était pas sans rappeler la gutta-percha. Là, étaient visibles des espèces amphibies, des orchidées et ce qui leur sembla être des palétuviers. Sous cette latitude, l’ensemble était pour le moins inhabituel.
Tout à coup, quelques toises à peine au-delà de leur champ de vision, nos amis virent la silhouette d’un être d’une blancheur extrême, immobile et dans une position de prostration très-douloureuse. -Grands Dieux ! s’exclama le Français, regardez, elle est marquée ! C’est une esclave !
N’y tenant plus, et malgré les protestations du reste de la troupe, il s’élança afin de couvrir la malheureuse d’un veston, afin qu’elle ne prît point froid. Il va sans dire que les fusils avaient été promptement sortis, si quelque danger devait pointer !
C’est alors qu’apparut un naturel, probablement caché jusque là derrière une sorte de bambouseraie. Son allure était calme,son type rappelait celui d’un nègre qui eut été mélangé de malais. Il était vêtu d’une vareuse tout ce qu’il y a de plus occidentale, et il s’exprima, visiblement à l’adresse de tous:
- Non mais ça va pas bande de nazes, rangez-moi votre panoplie et retournez à votre caisse pourrie. Que je ne vous revoie plus ! OK ?
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