ÂŤ I feel like I've been on Sinbad's voyage, you know, and I've battled all those monsters and I've got back. (long pause) Weird. » Au plus bas assurément notre John Lennon en cette douloureuse année 1975, au terme d'une longue et désastreuse séparation temporaire avec Yoko qui prit, dix-huit mois durant, les allures d'une chaotique équipée alcoolisée aux vertus cathartiques... Ce fameux « lost week-end » à la sulfureuse réputation a naturellement son lot d'orgies, de rencontres improbables - de Keith Moon aux ovnis - et de rebondissements - mais qui a tiré un coup de feu en studio ? - et on y frôla même la reformation des Beatles... Enfin, c'est tout comme...
Les faits : en septembre 1973, toujours en sevrage post-scarabée traumatique, Lennon entame une descente aux enfers patiemment ourdie en se séparant de Yoko Ono la félonne arty qu'on sait... Passée donc à la postérité sous le nom de « Lost Week-End » - en référence au film de Billy Wilder (Le Poison en français) ou la déchéance avinée d'un écrivain raté interprété par Ray Milland - la fugue majeure de Lennon se révéla bien vite plus ambitieuse que la banale crise conjugale à laquelle il avait été le premier à la réduire et, de dérives en dérapages, l'emmena jusqu'au tout début de l'année 1975... Dans l'intervalle, dans ses bagages, la secrétaire du couple et maîtresse du Jealous Guy, la presque ravissante May Pang... On dit d'ailleurs que Yoko ne suppportant pas les infidélités de son John le vira elle-même de la maison plus qu'il ne la quitta... D'autres, dont la fourbe Pang elle-même, dit que c'est Yoko en personne qui poussa John dans ses petits bras de secrétaire pour précipiter la crise...
Toujours est-il qu'en cette rentrée 1973, John quitta New York et s'envola en charmante compagnie pour Los Angeles où, squattant chez des potes puis se dégotant, en mars 1974, une maison sur la plage de Santa Monica, il lança officiellement le début de bien nocives festivités... Sa virée de faux célibataire, jubilatoire dans les premières semaines, tourna naturellement sordide sans délais, d'autant qu'il avait pris soin de s'adjoindre les services de potes aussi éthyliquement recommandables que Ringo Starr, Harry Nilsson, Keith Moon et Alice Cooper, qui se regroupèrent bientôt en un club tout à fait informel de gentlemen dipsomanes et prirent le nom de Hollywood Vampires... Lennon, tout pouilleux - « The separation didn't work out. I was like a chicken without a head » - tenta fissa un retour au bercail mais mangea un méchant refus de sa future Veuve Noire, qui le mit encore plus bas et redoubla ses pulsions auto-destructrices... Son temps partagé entre crises de sanglots poivrotes et razzia angelines nocturnes, Lennon était, somme toute, complètement barré : « Next thing I'd be waking up, drunk, in strange places or reading about meself in the paper, doin' extraordinary things, half of which I'd done and half of which I hadn't done. But you know the game anyway. And find meself sort of in a mad dream for a year. I'd been in many mad dreams, but this . . . It was pretty wild. »
Artistiquement, on pouvait craindre le pire - ou le meilleur, c'est selon - mais curieusement, le résultat n'est qu'honorable, sans vautre ni chef-d'oeuvre notables. Pour commencer, c'est à cette époque que Lennon, inspiré, décida de collaborer avec le redoutable Phil Spector pour enregistrer un album de reprises vintage, le fameux Rock And Roll, un peu trop vite décrié... Il en profita d'ailleurs pour pondre une nouvelle version du « You Can't Catch Me » de Chuck Berry dont il s'était plus qu'inspiré avec son « Come Together », en guise de dédommagements royaltesques au duck-walker... Bref, on se doute qu'avec l'infâme producteur dans les parages, les choses n'allèrent pas s'arrangeant : c'est même presque naturellement que, lors de ces premières sessions de décembre 1973, Spector sortit un revolver et tira son célèbre coup de feu en plein studio... Pour les complétistes, d'exigeants bootlegs de prises alternatives existent qui attestent de la maestria de Spector, capable de capturer rots et borborygmes lennoniens avec une précision stupéfiante...
Quelques mois plus tard, en mars 1974, Lennon, toujours en pleine fête, poursuit donc son week-end de folie avec son pote Harry Nilsson, songwriter admiré, avec qui il s'attelle à ce qui deviendra Pussy Cats... Entre deux sessions cocaïnées - Nillson, corde vocale rompue n'osa l'avouer à Lennon et grava des pistes vocales méconnaissables - et conneries traditionnelles - John saccagea la chambre de son pote producteur Lou Adler -, Lennon et son pote descendent au Troubadour, un nightclub péri-hollywoodien sur Santa Monica Boulevard... Un soir, Lennon se place une serviette hygiénique sur le front et choque une serveuse à qui il finit par hurler un « Do you know who I am?!! » vite repris dans la presse... Lui ne se souvient que vaguement d'une blague potache mal comprise et se voit mal faire une déclaration aussi mégalo mais tout ça est si flou dans sa tête... Deux semaines plus tard, Lennon prend à parti les pauvres Smothers Brothers, duo folk-comique (oui) vite oublié, qui eurent le malheur de se produire en présence de nos deux pochtrons... L'ex-scarabée s'en est excusé quelques années plus tard : « It was my first night on Brandy Alexanders and my last. (laughs) And I was with Harry Nilsson, who was no help at all. (laughs) »
En pleine révolution, Lennon fit aussi le tour de ses potes musiciens, comme ça, pour voir... Outre Nilsson, on le retrouve ainsi avec Bowie, alors enfoui sous la poudre, avec qui il compose et enregistre son « Fame » et le « Across The Universe » des Beatles sur le splendide Young Americans... Il retravaille aussi avec l'inusable Ringo, enregistre et monte sur scène, on le verra, avec Elton John, laisse tourner les bandes sur des jams avec Stevie Wonder... Et même Mick Jagger, avec qui il enregistre à la guitare le « Too Many Cooks » de Willie Dixon - le disque aurait d'ailleurs été miraculeusement retrouvé en 2003 par le proprio d'un magasin de disques londonien qui assure le tenir de Ron Wood lui-même... Pour les puristes, c'est probablement une autre version, londonienne et plus tardive, du titre qui aurait été exhumée mais il y aurait bien une version enregistrée pendant notre fameux Lost Week-End, avec un line-up aussi mythique que probablement fantasmé, Harry Nilsson aux backing vocals, Al Kooper aux keyboards, Bobby Keys aux sax, Jack Bruce à la basse et Jim Keltner aux drums...
De ces jams hasardeuses, la plus mythique, de loin, est celle qui réunit dans le plus grand secret Lennon et McCartney en personnes... OK, on est loin de la reformation des Beatles qu'on vous a vendue un peu plus haut mais en tout cas, quelques années après les règlements de compte par chanson interposée - « How Do You Sleep? » de John vs « Let Me Roll It » de Paul - les deux faux frères ennemis se retrouvèrent bel et bien pour enregistrer de manière impromptue quelques titres... Derrière eux, Stevie Wonder, Harry Nilsson encore, Jesse Ed Davis et Bobby Keys nous dit la pochette... Coupons court au suspens : les deux n'étaient pas au mieux de leur forme (les quatre autres non plus d'ailleurs), un bootleg audacieusement intitulé A Toot & A Snore In '74 en fournit la vicieuse preuve... Un titre plus bas, pour les sceptiques...
On l'a dit, Lennon s'en sort donc plutôt avec les honneurs côté musical : dans ses dérives townshendiennes, il réussit à sortir deux très bons albums, Mind Games et Rock And Roll et un Walls And Bridges certes passable mais qui atteint le sommet des charts ricains, propulsé par son single « Whatever Gets You Thru The Night »... C'est d'ailleurs en promettant à Elton John, qui le seconde sur ce titre, qu'il remonterait sur scène si leur compo devenait numéro 1 aux States que Lennon se retrouva quelques mois plus tard au Madison Square Garden aux côtés d'Elton à chanter du Beatles dans ce qui constitue sa dernière apparition en live... Et cette pochette de Walls And Bridges, au fait ? Là, c'est l'été 1974, mi-parcours de l'interminable week-end donc, Lennon à poil sur son balcon qui voit... un OVNI. On pourrait délayer mais bon disons qu'il en démordait pas à l'époque... Il en fit tout de suite un rapide croquis dont il pensa utiliser une partie pour la pochette mais inscrivit au final un laconique « On the 23rd Aug. 1974 at 9 o’clock I saw a U.F.O. » - et, selon sa copine Pang, accourue sur le balcon mais qui ne vit rien, s'abonna au magazine british Flying Saucer Review dans la foulée...
Début 1975, Lennon fut enfin autorisé à venir retrouver Yoko et put se cloîtrer dans son appartement new-yorkais jusqu'à sa tragique fin... Aurait-il vraiment dû revenir se lamentent encore les fans ? Pour Lennon, l'incident était clos, il y voyait enfin clair : « In the back of me head it was that: What do you want to be? What are you lookin' for? And that's about it. I'm a freakin' artist, man, not a fuckin' racehorse... »...