De ma retraite paisible à la Petite-Ile, bien qu'un peu bruyante, à cause des motocyclettes et autres solex qui sillonnent en pétaradant nos tranquilles chemins de cannes, je reste vigilant, et suit l'actualité de mon île chérie, par le truchement des gazettes, de la TSF, et même (à cause de l'insistance de mon gendre) de la télévision.
Avant d'aller plus loin en cette missive destinée à édifier mes neveux, qui deviendront comme moi, je n'en doute pas, ingénieurs dans une usine sucrière, je tiens à préciser que je n'ai rien contre les jeunes. J'ai moi-même, je crois, été jeune. Et je roulais comme un fou sur un vélocipède que m'avait offert mon père, pourtant homme sévère, sur les chemins cabosssés de Savannah...
Mais cessons-là ces références à un passé béni, et venons-en au présent. Il me vient aux oreilles que les élections battent leur plein (mon camarade, Albert Vautré, de l'académie coloniale, m'assure qu'on doit dire "battre son plein", et que la locution est invariable. Il a tort, mais foin de digressions). J'ai oui que M.Vergès, que j'ai connu au lycée, était encore de ce monde, et prétendait à un poste électif. Qu'un certain M.Robert lui bayait belle. Et qu'enfin, un M.Vergoz s'interposait dans cette joute (j'ai connu une demoiselle Robert quand j'étais étudiant, et un M.Vergoz, pharmacien, mais ça n'a sans doute rien à voir).
J'ai du mal à comprendre ces luttes partisanes pour le commandement de l'assemblée coloniale, alors même que M.Debré n'a pas, à ma connaissance, donné ses instructions. Du moins je ne les ai. pas entendues ni à la TSF, ni à la télévision. Et encore moins lues sur les gazettes. Il est vrai que cela fait fort longtemps que je n'ai pas reçu "Le Moniteur des Colonies". Pourtant je suis abonné... Mais la déliquescence de la poste...
Je vous appelle donc, mes compatriotes, fiers Créoles, à remplir votre devoir : voter ! En suivant scrupuleusement les instructions de M.Debré et du Général, seules garantes de l'appartenance de notre île rebelle, belle comme un champ de cannes qui se courbe sous le vent du cyclone sans plier, à notre mère patrie.
Le Vieux Papangue