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"Sturm / La révélation" : un film sur le TPIY

Publié le 18 mars 2010 par Geo-Ville-En-Guerre @VilleEnGuerre

Présenté à la Berlinale 2009, le film La révélation (titre original : Sturm), réalisé par Hans-Christian Schmid, propose de plonger les spectateurs dans les rouages du jugement d'un criminel de guerre au TPIY (tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie). Ce film est une fiction qui nous entraîne à suivre Hannah Maynard,  procureur au tribunal de Den Haag, alors qu'elle mène l'accusation contre Goran Duric, un ancien général de l'armée populaire Yougoslave, accusé de crimes de guerre lors du conflit en Bosnie-Herzégovine (voir le synopsis et une critique).
Une lecture géopolitique :La première lecture que l'on peut faire de cette fiction est géopolitique, du fait de l'importance de la mise en scène des personnages, comme personnification des diverses forces politiques à l'oeuvre dans ce tribunal. Il est important de ne pas oublier le contexte dans lequel a été créé le TPIY : cette justice internationale est à la fois une grande réussite de la communauté internationale (puisqu'il s'agit du premier tribunal international qui ne met pas en scène des vainqueurs jugeant des vaincus, mais amenant les criminels de guerre à répondre de leurs actes quelque soit leur "camp") et un profond échec (le TPIY a été créé pendant la guerre, comme une sorte de "justification" relevant de la "bonne conscience" de la communauté internationale face à son manque d'intervention : rappelons que pendant 3 ans ont été déployés en ex-Yougoslavie des Casques bleus qui avaient pour mission d'apporter une aide humanitaire aux populations mais n'avaient aucun droit d'intervenir dans le conflit. Il a fallu attendre le passage d'une intervention ONU à une intervention OTAN pour que la communauté internationale prenne part au conflit en tant que force armée, et ce en 1995). Les personnages sont ainsi une mise en perspective des rivalités de pouvoir qui s'opposent dans le TPIY. Le personnage principal, en tant que procureur défendant l'accusation, représente ainsi les intérêts d'une justice internationale qui peine à se définir, entre des acteurs finançant le TPIY et cherchant à le fermer le plus rapidement possible (l'Union européenne est ainsi mise en scène par le biais du conjoint d'Hannah), entre les différents juges (soumis eux aussi à des pressions entre financement et volonté de traduire la justice), les victimes et leur désir de justice (parfois au prix de mensonges), les criminels de guerre eux-mêmes et leurs avocats (l'avocat de Goran Duric rappelle ainsi à Hannah combien son client est un héros dans son pays, faisant référence à toute la mythification des criminels de guerre pour les uns, héros de guerre pour les autres, et toute la folklorisation de la vie politique que l'on avait déjà abordé à propos de l'ouvrage d'Ivan Colovic, Le Bordel des guerriers). Autant de personnages permettent au réalisateur de donner un aperçu des discours politiques et des jeux de pouvoir qui font les relations internationales.
Une lecture géographique :
Une seconde lecture de ce film est géographique et s'attache aux lieux et aux cheminements empruntés par Hannah pour obtenir la condamnation de Goran Duric. Hannah parcourt ainsi de nombreux lieux, sans qu'on l'aperçoive dans les différents modes de transport, à l'exception de quelques scènes de taxi. Le film est rythmé par cette approche spatiale qui entraîne le spectateur depuis le bureau d'Hannah et la salle de tribunal, jusqu'à la banlieue de Sarajevo et aux villages où elle tente d'obtenir des preuves incriminant Goran Duric, à Berlin où elle cherche à convaincre une jeune femme de témoigner, mais aussi des chambres et de nombreux halls d'hôtel, des plages, des couloirs... Hannah est un personnage en constant mouvement, que l'on voit le plus souvent immobile. Une métaphore des (im)mobilités de la justice internationale. Les lieux de l'intime se mélangent aux lieux de l'enquête et aux lieux de la pratique de la justice internationale. Le spectateur met toujours un instant avant de comprendre où se retrouvent le personnage. De ce rythme saccadé, le film tire parti des lieux, plutôt que des territoires ou des espaces, pour entraîner le spectateur dans les doutes et les difficultés pour cette procureur de mener une instruction dans laquelle les enjeux politiques sont omniprésents.
=> Le film ne se donne pas pour objectif d'expliquer le conflit de Bosnie-Herzégovine, et ne fait pas l'erreur de laisser penser qu'il est un documentaire, mais entraîne, par le biais de la fiction, à se questionner sur le fonctionnement de la justice internationale (rappelons le paradoxe même de l'existence d'une justice - pouvoir régalien - internationale), sans dénonciation "facile".



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