Justified : Héros anachronique d'un polar hors du temps

Publié le 18 mars 2010 par Myteleisrich @myteleisrich

Un vent d'excitation souffle sur mes programmes téléphagiques : cette semaine, je me suis réconciliée avec les séries américaines (ou presque) ! Car hier soir, j'ai regardé ce qui est probablement, jusqu'à présent, le plus prometteur pilote de toute la saison US 2009-2010 (il serait temps, nous sommes bientôt fin mars), en découvrant les débuts de Justified sur FX . La téléphage qui sommeille en moi est restée, je l'avoue, une inconditionnelle de Deadwood ; si bien que la perspective de retrouver Timothy Olyphant dans un rôle à sa mesure, ainsi que les échos assez positifs qui émanaient des critiques américaines ces derniers jours, avaient fait monter en flèche mes attentes. Eh bien, une fois n'est pas coutume : le résultat fut à la hauteur.

Se proposant de nous plonger dans les terres reculées du Kentucky, au sein des services de l'US Marshall officiant au niveau de l'Etat, Justified se présente dans un cadre atypique : sous un vernis moderne se cache un western qui revendique sa filiation à ce genre autrefois prisé du petit écran américain. Son personnage principal, Raylan Givens, est à l'image de cette atmosphère, se situant au croisement des tonalités. Sous un extérieur lisse, à l'attitude toujours posée et au calme presque surréalistes, se cache une personnalité complexe, aux motivations bien plus ambivalentes que les premières images auraient pu le laisser croire.

A la suite d'une fusillade au faux goût de duel d'une époque révolue, Raylan Givens se retrouve réaffecté d'office de la chaude Floride à sa région natale. Un brusque retour forcé qui le ramène sur les traces d'un passé qui comprend ses zones d'ombre, et où de nombreux comptes sont restés non réglés, suite à son départ il y a plusieurs années. Reviennent ainsi des anciens amis devenus embarassants, des ex-flirts pour qui les sentiments sont toujours vivaces, et, en arrière-plan, une figure paternelle, simplement mentionnée dans ce pilote, mais dont l'ombre pèse déjà sur Raylan et ses actions, paraissant offrir des débuts d'explication pour cerner ce personnage finalement très énigmatique. D'une personnalité a priori unidimensionnelle à l'excès, Raylan révèle progressivement des contradictions qui font prendre une toute autre dimension au personnage, et permettent ainsi au téléspectateur d'adopter presque instantanément ce nouvel héros du petit écran.

Le confronter, dès sa première enquête, à d'anciennes connaissances est un choix avisé des scénaristes. Ce retour aux sources permet de poser efficacement le cadre assez particulier qu'offre ce petit bout perdu du Kentucky et de présenter les multiples paradoxes prenant vie en Raylan. Pourtant, les intrigues ne présentent rien d'original a priori : un solde de comptes conjugaux avec le meurtre d'un mari violent ; une affaire qui navigue entre racisme et trafic de drogue, avec une église d'un genre assez particulier rayée de la carte par une arme de guerre... La délinquance mise en scène suit les classiques, mais il y flotte le parfum atypique d'une Amérique profonde qu'accentue à dessein l'ambiance de western moderne que l'épisode entreprend de recréer. Ces différents cas conduisent Raylan auprès d'un ancien ami, avec lequel il partagea beaucoup du temps de leur jeunesse.

Ce dernier vit désormais en marge de la société ; frayant avec les groupuscules d'extrême-droite, tels les White Supremacists, arborant fièrement une croix gamée tatouée sur sa poitrine. Ces retrouvailles, empreintes d'une ambiguïté subtile admirablement bien maîtrisée par les scénaristes, constituent le pivot de l'épisode et servent surtout de révélateur à l'égard de Raylan. C'est l'occasion d'en apprendre plus sur lui et de souligner la complexité qui l'anime. Les scènes communes entre les deux personnages sont parmi les plus réussies, parce qu'elles retranscrivent et captent parfaitement ce qui semble destiné à être l'essence de Justified : ces ambivalences morale, mais aussi temporelle, sur lesquelles la série paraît vouloir jouer. Leurs évolutions respectives les amènent désormais à s'opposer. Sans se départir des civilités de façade, mais aussi d'une étrange complicité naturelle lorsqu'ils sont ensemble, cela n'empêchera pas les deux hommes, peut-être plus semblables qu'ils ne voudraient bien l'admettre, de recourir aux extrêmes dans une scène finale dans la plus pure lignée du western.

Nous touchons, dans cette filiation hybride à ce genre traditionnel, à la spécificité et au premier atout incontestable de Justified. Il réside en effet dans son ambiance, réussissant à capter instantanément l'attention du téléspectateur par ce mélange osé, ersatz indéfinissable naviguant entre le western et le cop show se déroulant loin du décor habituel des grandes villes. S'inscrivant dans un cadre temporel moderne, où les préoccupations de chacun sont des plus classiques, la série n'hésite pas à utiliser un certain nombre de codes scénaristiques propres aux westerns. Ce n'est pas seulement l'évocation de ces répliques "cultes" sur le débat "who pulled first", mais cela se reflète de façon plus global dans l'atmosphère générale de la série. Par exemple, cela se traduit par le recours à de nombreuses confrontations face à face, forme d'opposition, pas forcément armée, où chacun défie l'autre de ciller le premier. Et puis, il y a évidemment aussi cette figure anachronique du justicier solitaire, à part, qu'incarne, consciemment ou non, Raylan.

Sur la forme également, le réalisateur exploite à merveille ce parti pris scénaristique. Cela passe par une caméra qui prend le temps de se concentrer sur chacun des protagonistes en tant qu'individualité, et sur leur regards lors des moments critiques. De plus, une musique fortement marquée western accompagne le téléspectateur tout au long de l'épisode. Elle n'est pas envahissante et bénéficie d'une utilisation sobre et judicieuse, mais elle marque cependant bien sa présence. Et puis, évidemment, Justified jouit d'un décor propice à ces digressions qui prennent un faux air d'appel de l'Ouest : dans ce Kentucky reculé, les scénaristes exploitent ces vastes étendues et leurs secrets, égarées entre les deux pôles attractifs que constitue chacune des côtes du pays, afin de mettre en scène cet aspect souverainiste que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Une forme d'indépendance anachronique qui imprègne ces coins retirés, voire retranchés; et donne le ton à l'ambiance de ce pilote.

Pour porter l'ensemble, la série dispose d'un solide casting, conduit d'une main de maître par un excellent Timothy Olyphant (Deadwood) qui délivre ici une prestation à la hauteur du scénario. Personnage complexe, hors du temps, masquant ses démons intérieurs derrière une assurance inaltérable, il cache, au-delà de cette fausse façade placide et de ce calme à toute épreuve, des émotions intenses. C'est une colère non formulée que souligne par sa propension à se servir de son arme. Cette figure de l'homme de loi, au caractère complexe, jouant sur une pseudo-apparence lisse au premier abord, n'est évidemment pas sans rappeler Seth Bullock, de Deadwood ; et il est difficile pour le téléspectateur, déjà encouragé par le cadre, de ne pas faire quelques comparaisons somme tout flatteuses. Reste que Timothy Olyphant trouve, dans ce pilote, le ton juste, jouant sur une ambivalence plus subtile qu'il n'y paraît a priori, pour proposer un personnage qui ne  manque pas d'aiguiser la curiosité du téléspectateur.

A ses côtés, l'épisode met surtout en avant, par la confrontation qui permet au personnage de Raylan de s'affirmer dans toute sa complexité, un ancien ami de l'homme de loi, interprété par un acteur bien connu des téléspectateurs de FX, Walt Goggins (The Shield). Le pilote introduit également des figures féminines de poids, avec Joelle Carter en veuve meurtrière, victime autant que coupable, et Natalie Zea (Dirty Sexy Money), ancien flirt qui exerce toujours un certain attrait sur Raylan. De l'équipe d'US Marshall que rejoint le héros au début de l'épisode, c'est surtout le patron, incarné par Nick Searcy, qui sort du lot, cadrant avec l'image stéréotypée que l'on peut se faire d'un tel dirigeant de ce service dans le Kentucky.

Bilan : Justified délivre un pilote très solide et particulièrement prometteur. Se déroulant dans un cadre assez atypique, à l'intersection de plusieurs genres, il souffle sur l'épisode un faux air de Far West moderne, auxquels se mêlent les préoccupations d'un cop show moderne se déroulant dans les grands espaces proposés par le Kentucky. Introduisant un solide personnage principal, complexe et surtout intriguant, l'épisode aiguise la curiosité du téléspectateur en laissant entrevoir une ambivalence sombre, derrière cette façade de justicier solitaire presque cliché. Le pilote semble d'ailleurs prendre beaucoup de plaisir à jouer sur les apparences, mettant en scène des dynamiques bien plus complexes que ce que l'on imagine hâtivement à première vue.

En somme, mission parfaitement remplie avec ce pilote, qui donne très envie de s'investir dans la série et d'en découvrir la suite.


NOTE : 8,5/10


Une bande-annonce de la série :