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Génocide arménien : Obama va-t-il (enfin) oser la reconnaissance ?

Publié le 18 mars 2010 par Roman Bernard
1. Génocide arménien : une énième promesse non tenue d’Obama ?

Les États-Unis, largement relayés par le Royaume-Uni, soutiennent fermement l’idée d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne, éventualité que l’Occident et l’Europe devraient pourtant d’emblée rejeter avec la plus extrême fermeté. À Washington, l’on préfère généralement éviter de déplaire à Ankara et l’on craint tout ce qui pourrait porter atteinte aux relations bilatérales entre les deux pays, les grandes compagnies de défense et d’aéronautique craignant de perdre un client important, la Turquie étant engagée dans plusieurs projets d’achat d’armements (hélicoptères, avions de combat…). On voit là clairement planer le spectre de la soumission et de la dhimmitude qui hante de plus en plus habituellement les pays d'Europe et d'Occident. D’autre part, le moins que l’on puisse dire, c’est que le président américain Barack Hussein Obama n’a tenu, jusqu’à présent, que bien peu de ses promesses électorales. Après un an, l’on serait même en droit de parler de présidence particulièrement terne. Quoiqu’il en soit, parmi ses promesses figurait la reconnaissance par les États-Unis du génocide arménien. Osera-t-il tenir ladite promesse ? Certains commencent légitimement à en douter.

2. Le vote à la Chambre des représentants : un coup d’épée dans l’eau ?

Un vote a été organisé par la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américains sur la reconnaissance du génocide arménien. Cela permettra à Obama d’utiliser désormais le terme de « génocide » pour évoquer l’extermination des Arméniens par les Turcs, en 1915... Toutefois, la résolution, votée à 23 voix contre 22, doit à présent être examinée par le Congrès. Or, la secrétaire d’État Hilary Clinton a récemment déclaré que depuis les belles promesses faites par Obama, les circonstances avaient « changé de manière significative » et que « le Congrès ne doit pas se conformer à cette résolution, et nous l’avons fait savoir à tous les protagonistes ». Pris entre le réalisme commercial et des impératifs politiques qui lui imposent de ne pas s’aliéner la communauté arménienne à l’approche des élections de mi-mandat (novembre), Barack Hussein Obama voit sa marge de manœuvre se réduire comme peau de chagrin.

3. Des sous-entendus énergétiques

De fait, en octobre dernier, la « diplomatie du football » avait eu pour résultat un rapprochement entre l’Arménie et la Turquie : à l’occasion d’un match entre la Turquie et l’Arménie, Ankara et Erevan avaient signé deux protocoles (que les deux parlements tardent toutefois à ratifier) permettant le rétablissement et la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, après un siècle d’hostilité. Nombre d’Arméniens y avaient vu, non sans raison, un cadeau offert sur un plateau d’argent à la Turquie, au terme de négociations secrètes. Pour des raisons qui ont largement trait aux questions liées aux voies d’approvisionnement énergétiques, la Turquie, à la suite du conflit russo-géorgien notamment, tente actuellement un rapprochement avec Téhéran et Erevan.

« La rupture des relations turco-arméniennes a eu une influence déterminante sur les projets de transport reliant l’Est à l’Ouest comme les corridors énergétiques BTC, Bakou-Tbilissi-Erzurum et le futur Nabucco ou le projet de chemin de fer Bakou-Akhalkalaki-Kars. Elle a pesé sur le choix de tracés contournant l’Arménie et conforté les liens entre l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie ». (« Géopolitique et rivalité des grandes puissances », Thorniké Gordadzé, in « Le Caucase : un espace de convoitises », Questions internationales n°37, mai-juin 2009, p. 37)

« La Turquie ambitionne de devenir le principal pays de transit des hydrocarbures vers l’Europe, par lequel passeraient à terme les énergies de l’Asie centrale, de la Caspienne, du Moyen-Orient, voire de la Russie et de l’Iran ». (Ibid.). Et l’on peut, dans le cas où ce scénario devait se réaliser, s’imaginer de quels moyens de pression la Turquie disposerait alors pour imposer ses vues, notamment dans le cadre du dossier de son éventuelle adhésion à l’UE.

Or, les efforts de la Turquie pour se rapprocher de l’Arménie « ont trouvé un écho plus favorable depuis l’arrivée au pouvoir en Arménie de Serge Sarkissian, lequel est plus "flexible" que son prédécesseur Robert Kotcharian » (Ibid.) Or, Serge Sarkissian avait accédé à la présidence de la République arménienne en février-mars 2008 dans un climat de rare violence qui n’avait que peu ému l’Occident démocratique. La répression des manifestations des opposants à l’élection de Sarkissian à la présidence de la République avait effectivement été particulièrement violente et entraîné la mort de dix personnes. Cette répression, de même que « l’enquête en cours visant soixante-neuf "prisonniers politiques", dont sept opposants — parmi lesquels des députés du Parti républicain Hanrabedagan et des membres du Mouvement national arménien dont le chef de campagne de Levon Ter-Petrossian, Alexandre Arzoumanian — accusés de tentative de coup d’État et d’organisation d’émeutes de masse, ont failli provoquer la suspension de la participation de l’Arménie à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. » (« Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie : trois transitions politiques singulières », Taline Ter Minassian, in « Le Caucase : un espace de convoitises », Questions internationales n°37, mai-juin 2009, p. 24-25). Sans plus.

Toutefois, malgré ces promesses de coopération pragmatique et fructueuse, le vote américain fait craindre aux partisans de la Turquie et aux lobbies énergétiques et militaires, un regain de tension entre Ankara et Erevan, le ministre des Affaires étrangères arménien, Édouard Nalbandian, ayant salué « une nouvelle preuve de l’attachement du peuple américain aux valeurs humaines universelles et un pas important vers la prévention des crimes contre l’humanité. » Il reste évidemment à savoir ce que choisira l’oligarchie de Erevan entre la fidélité à la mémoire nationale et le pragmatisme énergétique.

4. La réaction turque

À la suite du vote de la Chambre des représentants, la Turquie a rappelé son ambassadeur aux États-Unis. Ankara avait déjà rappelé son ambassadeur en 2007 lorsque le même comité parlementaire avait approuvé une résolution similaire, mais à l’époque, le président George Bush avait empêché que le texte soit soumis à l’ensemble des élus du Congrès, une position à laquelle Hilary Clinton semble également vouloir adhérer aujourd’hui. Ankara a en outre sommé Washington de bloquer la résolution sur le génocide arménien et a déclaré, évoquant au passage une « affaire d’honneur national », attendre « de l’administration américaine qu’elle fasse dès maintenant des efforts plus efficaces pour empêcher un vote du texte en séance plénière. »

Éric Timmermans


Sources :



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