L'article du Financial Times sur le départ imminent de Google a véritablement créé un effet de panique dans la profession… et un buzz mediatique incroyable sur Internet.
Plus de 32 millions de résultats relatifs à cette affaire si vous recherchez "99,9 china google" dans Google.com !
Le Nouvel Observateur m'a invité à répondre hier à quelques questions sur le sujet. Je vous invite à lire le papier que Boris Manenti (Nouvel Obs) à publié à partir de cette interview.
"Google ne pourra pas effacer la Chine de sa stratégie"
Selon une information du Financial Times, Google serait à "99,9%" certain de fermer son site google.cn. Une multinationale comme Google peut-elle se priver de l'énorme marché chinois ?
- C'est envisageable… Google, en cours de discussion avec le gouvernement chinois, élabore plusieurs plans. Il envisage bien entendu un plan dans le cas où il choisirait de partir. Mais il ne faut pas perdre de vue que Google possède en Chine une partie commerciale mais aussi un centre de recherches et développement. Le groupe a donc plusieurs enjeux en Chine. Aujourd'hui, pour la recherche, les doctorants chinois sont bien moins chers qu'aux Etats-Unis. Implanter un centre de recherches en Chine est donc une stratégie durable pour Google. Si Google décide de partir, il ne partira pas complètement puisqu'il est important que la recherche reste localisée en Chine.
Enfin, il y a également la question d'Android [le système développé par Google pour les téléphones portables, NDLR].
Actuellement, la Chine est le premier marché mondial en termes d'utilisateurs pour Android. L'iPhone vient d'arriver et peine à décoller, tandis que les équipementiers et télécoms chinois supportent Android. Google ne pourra donc pas prendre le risque de se priver du premier pays au monde en termes d'Internet -284 millions d'internautes- et du premier pays au monde en termes de mobiles -700 millions d'abonnements. Google ne pourra pas effacer la Chine de sa stratégie. Donc le groupe ne claquera pas la porte, du moins pas complètement.
Est-ce qu'une volonté philanthropique peut justifier le départ d'un marché ?
- Il y a deux courants de pensée chez Google. Le groupe a toujours intégrer des notions éthiques dans son plan de développement. La culture de l'entreprise a toujours apporté une notion d'éthique, avec pour preuve son slogan "Don't be evil". Malgré tout, d'autres sons de cloche se font également entendre à Mountain View [siège de Google aux Etats-Unis, NDLR] où certains décideurs estiment que les éléments éthiques ne doivent pas décider du retrait ou non d'un marché. L'information du Financial Times est donc à prendre avec des pincettes. Il y a un énorme effet buzz autour des "99,9%", tandis que la stratégie du groupe est de communiquer très peu. Le buzz va donc continuer tant que l'on ne saura pas ce que décide Google.
Comment est prise l'attente d'une annonce de Google ?
- Au quotidien, cela ne se ressent pas puisque Google n'est pas l'outil principal de recherches [le moteur de recherches totalise un peu moins de 30% de parts de marché, loin derrière Baidu, NDLR]. Reste que les agences de marketing sont paniquées parce qu'un départ de Google leur imposerait de revoir tous les plans médias en place. Toutefois, le départ de Google, s'il est décidé, prendra encore beaucoup de temps, même si une rumeur persistante fait état d'une annonce ce soir ou dans les jours qui viennent, ce qui pourrait accélérer les choses…
Google pourrait-il être suivi par d'autres entreprises américaines de l'Internet ?
- Je ne pense pas. Depuis sa création, Google a une philosophie assez unique avec une philanthropie très forte. Si le groupe annonce son départ, il y aura certainement un mouvement de solidarité des entreprises autour de la dimension politique, mais ce n'est pas pour autant qu'elles quitteront la Chine. Il faut surtout noter que les tractations autour de Google se déroulent dans un contexte de relations diplomatiques extrêmement tendues entre les Etats-Unis et la Chine. En ce moment, les deux puissances s'affrontent sur de nombreux points comme la réévaluation du yen, la visite du dalaï-lama, la vente d'armes à Taïwan, etc. C'est vrai que si Google était finlandais, il y aurait beaucoup moins de buzz autour d'un possible retrait.
Google ne tenterait-il pas d'utiliser cette menace de départ pour se créer une bonne image ?
- Je ne suis pas sûr que Google en ait vraiment besoin. A l'inverse de Yahoo qui avait livré des militants des droits de l'Homme au gouvernement chinois, Google n'a pas besoin de se racheter une image. A l'international, l'image du groupe n'est pas si déplorable. Toutefois, il est vrai qu'en Chine, on assiste à un mouvement de sympathie en faveur de Google.
Interview de Patrice Nordey par Boris Manenti
(Le mardi 16 mars 2010)
Lien vers l'article dans le Nouvel Obs