Sukkwan Island. Une île perdue au milieu d’un chapelet d’îles au sud de l’Alaska. Dans la région de Ketchikan, au sud de Juneau, la capitale du plus septentrional des cinquante états des États-Unis. Une île sur laquelle Jim a acheté une maison. Une cabane plutôt. Un peu aménagée, mais d’un confort plus que rustique pour ne pas dire rudimentaire.
Une île sur laquelle il se fait déposer en hydravion par Tom, le pilote, au tout début de l’été, avec une importante quantité de matériels, de nourritures, un bateau et son fils, Roy, âgé de treize ans. Jim a l’intention de passer l’hiver, loin de tout, loin des hommes en la seule compagnie de son fils. Un moyen de partager, de communiquer avec lui.
Roy est le fils de Jim et d’Élisabeth. Il a une jeune sœur, Tracy, et vit habituellement en Californie avec sa mère, car Jim, et Élisabeth ont divorcé. Mais Jim a réussi à convaincre Roy et Élisabeth de l’intérêt de cette extraordinaire aventure et les voilà donc tous les deux sur le rivage en train de regarder l’hydravion de Tom prendre de l’altitude après un grand virage au fond du fjord.
Et Roy a tout de même un petit pincement au cœur en pensant que de nombreuses semaines vont maintenant s’écouler avant qu’il ne revoie sa sœur et sa mère. Mais préparer un hivernage n’est pas une sinécure et il faut rapidement passer à l’essentiel : couper du bois pour le feu, pêcher et chasser pour la nourriture, tout en profitant quand même d’un paysage époustouflant, d’une nature sauvage immense qu’il faut bien apprivoiser un peu.
Surtout que Jim, s’il est habile, n’est pas pour autant un trappeur aguerri. Et que les ours sont curieux, gourmands et quelque peu vandales.
Souvent j’ai pensé aux magnifiques images de « Into The Wild » en parcourant les premières pages de ce livre éprouvant de Davis VANN. Certes les points communs se résument à l’attrait extraordinaire que la nature sauvage a exercé sur les héros. Point d’hydravion dans le film. Point de carcasse de bus dans le livre. Mais la même fascination pour la vie rude des hommes au contact d’une nature dure. Et aussi quelques approximations des héros quant aux comportements les plus appropriés pour sécuriser leur survie au milieu d’éléments parfois peu engageants.
Mais c’est clairement à autre chose que David VANN nous destine au fil de ses pages.
C’est un huis clos où les hauts et les bas du père et du fils se succèdent. Où la crudité des situations n’a d’égale que la crudité des mots et du récit. Où le caractère sauvage de la nature n’est pas minimisé et ne se laisse point dominer par quelques a priori bucoliques. Où les hommes, et les enfants emmènent avec eux leurs soucis, leurs problèmes qui suffiraient à leur propre déstabilisation alors qu’ils ont aussi à faire face à ceux de l’autre. Où l’instinct de survie montre encore toute sa puissance face aux éléments déchaînés.
Au bout de ce huis clos, il y a la bascule possible de l’esprit. Le moment où la faiblesse ou bien le désespoir pourraient entraîner la défaillance ou l’abattement. Mais ce pourrait aussi bien être la grandeur et le dépassement de soi.
Qu'est-ce qui peut expliquer le passage de l’un à l’autre ? La victoire de l’un sur l’autre ? La croisée des chemins où, des deux possibles, un seul ne subsiste ?
Accrochez-vous. Vous allez partir dans un voyage dont vous ne sortirez pas indemne. David VANN a une vraie force d’écriture, avec un verbe cru et des images sans retenue parfois susceptibles de choquer. Mais il est diablement efficace pour nous mener sans coup férir à un dénouement dont l’évidence n’apparaît, de fait, qu’à la toute dernière ligne.
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