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Une démocratie abstinente et désaffectée

Publié le 17 mars 2010 par Vogelsong @Vogelsong

C’est la grande découverte des élections régionales de 2010. La classe politique française s’enquiert de la participation aux élections. Selon les canons de la démocratie, le péquin s’est largement abstenu de glisser un bulletin dans l’urne. Rebuffade méphitique du citoyen qui déserte la démocratie. La liberté, et tout le tintouin qui va avec, est en danger. Un discours rabâché, ressassé durant la soirée par toute la médiacratie politicienne. Dans cette chorale, c’est la droite sortante (UMP) qui donne le la. Comme toujours.

Une démocratie abstinente et désaffectée
C’est le fait saillant de toutes les soirées électorales. Les petites fiches concoctées par les siamois de la communication F. Lefebvre et D. Paillet, et que tous les hiérarques de l’UMP répètent ad nauseam donnent le tempo à l’évènement. Après le compte à rebours et les graphiques, trait à X. Bertrand. Il va conditionner tout ce qui va suivre en pérorant sur la forte abstention (53.6%), donc un premier tour caduque. Non pas que cela soit complètement faux. Mais très relatif. Lors des élections européennes de 2009, l’UMP qui avait fini en première place, avait imposé sa vision du leadership, « nous sommes le premier parti de France ». Avec plus de 59 % d’abstention. Premier parti de France mais par majoritaire. Premier parti de France, mais dans un contexte minimal ? Peu importe, bien disciplinés, les journalistes garderont ce cap, cette vérité. Lors des élections municipales, l’UMP avait nié la débâcle en localisant les résultats du scrutin. Toute la médiacratie avait embrayé. Qu’importe, la voix de l’UMP, dans les médias, fait foi.

Autre fait saillant sur l’abstention, c’est la propension à célébrer le numéraire. La mayonnaise de l’élection prend s’il y a du monde. Quelle que soit la teneur des débats. Dans l’empire du citoyen calculateur, ce qui compte ce ne sont plus les enjeux ou la qualité des projets, mais la propension à mobiliser un maximum de gens autour de baudruches électoralistes. À ce titre l’élection présidentielle de 2007, fut une immense réussite (84 % de participation) et célébrée unanimement comme telle par le cénacle médiatico-politique. Symptomatique, les perdants ont immédiatement intégré l’idée que, compte tenu de la participation, les résultats étaient si puissants donc indiscutables. Pourtant au lendemain du 6 mai 2007, il était légitime, voire sain, de se questionner, « tout ça pour ça ? ». Ce scrutin ne fut pas « une grande victoire de la démocratie », seulement un immense succès marketing, suivi d’un consentement massif à participer à l’évènement. Comme le précise A. Badiou, le choix proposé à l’issu de la campagne consistait à se positionner sur « la peur » (N. Sarkozy) ou sur « la peur de la peur » (S. Royal). Bien loin du combat idéologique et programmatique droite-gauche qui fut vendu pendant 6 mois. L’élection de 2007 fut un triomphe commercial. Les chiffres l’attestent. Elle fut surtout d’une indigence programmatique insondable. Qu’importe la démocratie ne se jauge pas à la teneur du débat, mais au nombre de bulletins déposés au fond de l’urne. Après 3 années de gribouille politique, l’évènement, le succès démocratique unanimement révéré prend tout son sens et sa relativité.

Si mal il y a, il est plus profond. Ce qui peut étonner c’est le paradoxe des discours et de la pratique politique. De tous côtés sont claironnées « la transparence » et « la politique autrement ». Allusion à peine voilée aux dérives d’antan et finalement pas si lointaines. Mais plus grave encore est la contradiction de fond entre le désir par la démocratie de marché de façonner un citoyen désaffecté de la chose publique, et les paroles affectées de la désertion démocratique. Depuis des décennies on s’emploie à giscardiser la vie politique. Mitiger le clivage droite/gauche dans la soupe tiédasse de la soumission au commerce de tout. Ce qui fait foi, ce n’est plus le projet politique, mais la capacité à consommer. Cette démocratie instantanée, ce niveau supérieur et reptilien du choix de « citoyen ». Comment s’étonner que l’électeur finalement devenu « raisonnable », c’est-à-dire débarrassé des archaïsmes de la pensée politique puisse imaginer un autre projet politique que son prochain shopping en grande surface. Comment s’étonner qu’un dimanche de vote, l’individu composite de la démocratie moderne, parce qu’il a un petit coup de fatigue préfère traînasser dans le camp retranché de ses petites sociabilités, plutôt que de s’occuper des affaires publiques. Pourtant, les hiérarques émargeant à l’UMP tiennent le discours ébahi de la démocratie en capilotade. Pris à leur propre jeu, ils souhaitent un plébiscite réactionnaire en même temps qu’une désaffection de la chose publique. Une désaffection qu’ils ont eux-mêmes organisée, programmée.

La gravité de circonstance ne sert que la justification d’un échec. La « gauche » a lâché prise depuis des lustres. Elle reflue en bon ordre. La pensée de marché remplit l’espace médiatique. Pour infuser dans l’espace politique et démocratique. Elle y répand un individualisme flasque. Un message infiniment plus puissant sur le consentement que ne pourra le geindre le politicien (faussement) déçus par des listes lacunaires. L’objectif de démocratie façon droite sans complexe est presque atteint. Baigner l’électeur dans un fatalisme démobilisateur et organiser des happenings plébiscitaires ponctuels. Pour se donner le frisson de la démocratie.

Vogelsong – 16 mars 2010 – Paris


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