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Michel Schooyans, Les pièges de la compassion (4)

Publié le 17 mars 2010 par Walterman

8) En raison de sa gravité, le sida est aussi une maladie qui incite à la compassion. Des établissements publics ou privés se sont spécialisés dans la prévention et/ou le traitement de cette maladie. Des centres d'accueil et de soins ont été fondés pour accueillir, soigner et accompagner jusqu'au bout les personnes atteintes par ce mal. Des congrégations religieuses, spécialisées dans les soins de santé, ont adapté leurs programmes aux situations nouvelles créées par l'expansion de cette pandémie. L'exemple de la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta a fait école. Tous ne sont pourtant pas inspirés de la compassion exemplaire de Mère Teresa.

En mars 2009, dans l'avion qui le conduisait en Afrique, le pape Benoît XVI s'est fait harponner par des journalistes parce qu'il avait osé déclarer que le préservatif n'était pas vraiment la solution au problème. Toujours prompte à enrichir le recueil des "histoires belges", la chambre des représentants [de Bruxelles], y compris divers mandataires "chrétiens", a condamné les propos "irresponsables" et "inacceptables" du pape. C'est à peine si les honorables députés n'ont pas demandé une réunion d'urgence du conseil de sécurité de l'ONU ! Dieu merci, le sénat belge n'a pas suivi la chambre des représentants dans son délire antichrétien.

Mais cette même chambre aurait cependant pu revendiquer la caution de quelques éminents ecclésiastiques. Parmi eux, des cardinaux très médiatisés, dont les noms sont bien connus, ont curieusement recommandé l'usage du préservatif en présentant celui-ci comme un moindre mal, le mal plus grand à éviter étant le danger de contagion mortelle en cas de non recours à cette précaution. Le motif invoqué est donc la compassion.

L'argumentation se développe habituellement comme suit : la pulsion sexuelle étant irrésistible et incontrôlable, l'usage du préservatif est le seul moyen efficace d'éviter le sida. Il s'en faut de peu pour que certains "moralistes" aillent jusqu'à invoquer le Vème commandement de Dieu, "Tu ne tueras pas", pour présenter le port du préservatif comme une obligation morale ! D'autres moralistes ou pasteurs développent une variante de cette argumentation : ils enseignent à pécher sans risque.

Dans le cas du sida, la compassion est donc invoquée à deux titres différents. Bien sûr, la compassion s'adresse d'abord aux malades atteints par cette terrible maladie. Comme pour tous ceux qui souffrent de maladies très graves, il faut veiller à ce que leurs souffrances soient soulagées, à ce qu'ils reçoivent les soins d'hygiène dont ils ont besoin ; il faut leur dire des mots de tendresse : leur dire la tendresse des hommes, mais aussi la tendresse de Dieu. Mais dans le cas qui nous occupe, la compassion est aussi invoquée de façon mensongère : le préservatif s'impose - insinue-t-on - en raison de l'incontrôlabilité de la passion des hommes, de leur absence de liberté face aux pulsions qui les assaillent.

Ce n'est pas notre intention de reprendre ici les discussions sur le sida, ses causes, son traitement, etc. Deux constats devraient cependant faire réfléchir les zélateurs de la fausse compassion. Rappelons d'abord qu'il suffit de consulter les magazines de consommateurs pour apprendre que les préservatifs ne sont pas fiables à 100%. S'il n'est pas sûr à 100% pour la contraception, pourquoi le serait-il pour empêcher la transmission du sida?

Mais il y a un autre aspect du problème, largement méconnu par beaucoup d'éminents pasteurs-théologiens. C'est ce que les économistes appellent l'effet de rebond. L'image de la balle qui rebondit est en effet suggestive : au terme d'une première parabole, elle touche le sol, mais c'est pour repartir aussitôt, vers le haut et plus loin. Deux exemples familiers feront comprendre ce dont il s'agit. L'arrivée des lampes économiques a été saluée avec enthousiasme : une lampe économique de 11 watts donne autant de lumière qu'une lampe classique de 60 watts. On pourrait s'exclamer : "Quelle économie !". En fait, on observe qu'en raison même de la basse consommation de ces lampes, les gens tendent à mieux éclairer leurs maisons en multipliant les lampes et en augmentant le nombre d'heures d'éclairage. Les lampes économiques compensent ainsi les économies qu'elles étaient censées provoquer ; elles peuvent même amener une augmentation de la consommation.

Autre exemple : certaines voitures, naguère équipées d'un moteur gourmand, sont aujourd'hui équipées de moteurs particulièrement sobres. Ici aussi, les gens se disent : "Quelle économie !". Mais comme la voiture consomme, disons, 5 litres de gasoil au lieu des 8 litres de la voiture précédente, les gens trouveront que rouler est devenu moins cher et ils rouleront plus qu'ils ne le faisaient avec leur vieille voiture. On roule plus avec une voiture qui consomme moins. Il en résulte que l'économie réalisée par le moteur de nouvelle génération est compensée par une augmentation du nombre de kilomètres roulés et souvent par l'augmentation de la vitesse à laquelle on avait l'habitude de conduire.

Un troisième exemple du rebond est signalé par Jacques Suaudeau (14). Lorsque le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire en Angleterre, on a constaté avec surprise que le nombre d'accidents et de victimes avait augmenté. Une étude attentive a révélé que les automobilistes croyaient trouver une plus grande sécurité dans le port de la ceinture. Mais ils prenaient plus de risques, roulaient plus vite qu'avant. Le bénéfice qu'on attendait du port de la ceinture a été compensé par des prises de risque accrues.

Le phénomène du rebond s'observe aussi dans l'utilisation du préservatif et dans l'incidence de cette utilisation sur l'extension de la maladie. Les éminents moralistes devraient tenir compte de ce phénomène. Le matraquage médiatique incitant à recourir au préservatif pour limiter l'expansion du sida a un effet pervers : le préservatif donne un sentiment faux de sécurité. En y recourant, les utilisateurs tendent à compenser le risque amoindri par le préservatif en multipliant les rapports hasardeux plus qu'ils ne le faisaient habituellement, en changeant de partenaires, en variant les rapports et en ayant les premières relations sexuelles de plus en plus tôt.

Remarquons que c'est ce qu'a expliqué le Dr Edward C. Green le 19 mars 2009, après le lynchage médiatique dont le pape a été l'objet lors de son voyage en Afrique :

"Nos meilleures études [...] mettent en évidence une association constante entre une plus grande disponibilité et un plus grand usage de condoms et un taux plus élevé (non pas plus bas) d'infection par HIV. Cela peut être dû en partie à un phénomène connu comme compensation du risque, ce qui signifie que quand on utilise une 'technologie' qui réduit le risque, telle que les condoms, on perd souvent le bénéfice (la réduction du risque) en 'compensant' ou en prenant de plus grands risques que ceux que l'on prendrait sans la technologie qui réduit le risque". (15)

Voilà encore, à propos du sida, un exemple remarquable de "compassion" mensongère et violente. Mensongère parce que reposant sur des assertions dont quelqu'un d'un peu informé peut démasquer la fausseté. Violente, parce qu'au nom de prémisses fausses on pousse objectivement à prendre le risque de mourir et de donner la mort.

(14) Voir Jacques Suaudeau, article "Sexualité sans risques", pp. 905-926 du "Lexique des termes ambigus et controversés", du conseil pontifical pour la famille, publié chez Téqui, Paris, 2005.

(15) Edward C. Green est directeur du AIDS Prevention Project at the Harvard Center for Population and Development Studies. Le texte que nous citons se trouve au http://www.lifesitenews.com/ du 19 mars 2009. On trouve à cet endroit d'autres informations.


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