L'histoire de notre couvent commence dans les années 1170, lorsque les Autrichiens (jaloux) envahissaient (déjà) les belles terres prospères de Bohême. Au début, le duc (de Bohême) "Soběslav II" laissait faire, se disant que bon, fallait partager avec son voisin, être bon joueur avec les faibles-moches-pauvres-malchanceux, et tout et tout. Mais au bout d'un moment, à force de tirer sur la ficelle, ça finit par bien faire. Il réclama alors à l'Autrichien Henri II ("genannt Jasomirgott, Pfalzgraf bei Rhein 1140–1141, Markgraf von Österreich 1141–1156, Herzog von Bayern 1143–1156 und Herzog von Österreich 1156–1177 aus dem Geschlecht der Babenberger") les terres que ce dernier lui avait mesquinement rapiné pendant tout ce temps. Mais parce que l'Autrichien têtu ne voulut rien savoir, alors "Soběslav II" duc de Bohême s'allia avec Otakar margrave de Styrie, avec Konrad duc de Moravie, et tous partirent joyeusement piller l'Autriche en représailles.
Ainsi, se conformant à l'ordre papal, et afin de ne pas résider ad vitam aeternam aux enfers de la damnation, "Vilém z Pulína" mit en chantier (de ses propres deniers selon certains, pompé dans le "fonds européen de développement régional" selon d'autres) en 1181 un couvent pour nonnes, sous le haut patronage de sa femme Sophie et sous la supervision de son pote l'abbé prémontré "Gotšalk" (i.e. "Gottschalk") de "Želiv", où l'on brasse encore aujourd'hui une bière goûteuse dont je pense le plus grand bien, et dont une des marques porte le nom de l'abbé.
En octobre 1183, l'abbé "Gotšalk" fit venir quelques jeunes boutures de moniales du couvent de "Louňovice pod Blaníkem" (en Bohême, fondé en 1149 et totalement détruit par les hussites en 1420, cf. "Annales Gerlaci Milovicensis: Eodem anno [MCLXXXIII] memoratus et semper memorandus abbas Godscalcus conuentum sororum de Lonewitz mittit in Cunitz ad petitionem Wilhelmi comitis, de quo supra latius disseruimvs."), et le greffon prit. En décembre 1183, l'abbé alors vieux et malade rendit encore une dernière fois visite à ses petites protégées dans le cadre d'une grande visite officielle dans les différentes succursales des prémontrés. Puis en février 1184, il s'éteignit le devoir accompli et l'âme en paix de savoir que son oeuvre était prospère et florissante. Alors difficile de dire si le soudain peuplement du couvent est à mettre au compte de subites vocations spirituelles, ou au compte d'une remarquable vivacité du prévôt en charge de l'administration de l'entreprise, n'empêche que la population féminine prospérait vraiment et rapidement.
Ah si, encore une anecdote. Le 10 décembre 1185 eut lieu la bataille de "Loděnice" entre la Bohême ("Bedřich") et la Moravie ("Otto Kunrád", i.e. "Konrád II. Ota"). Jamais dans l'histoire, ces 2 régions ne se mirent autant sur la gueule que cette fois-ci, pour une histoire politique de succession. Mais parce que "Loděnice" ne sont qu'à 6 km du couvent, une fois les Moraves proprement esquintés, les armées de Bohême se rendirent à "Dolní Kounice", où qu'elles pillèrent ravagèrent puis incendièrent tous les édifices, sauf... sauf l'église et le couvent (tu m'étonnes, les bougres avaient entendu l'histoire de "Vilém z Pulína", de l'"excommunicavimus et anathematizavimus" suivis du voyage à Rome :-)
Au XIII ème siècle, le couvent prospérait proprement au point qu'il obtint l'appellation "prévôté", et put jouir de tous les privilèges rattachés à son rang. Outre les patelins à traire offerts par le fondateur "Vilém", d'autres s'ajoutèrent rapidement à la liste des propriétés foncières. L'évêque Robert the Brit ("Robert von England") de "Olomouc" offrît par exemple au couvent plusieurs vignobles dans les coins de "Pouzdřany" (à 18 km au Sud-est de "Dolní Kounice"). Juste avant de mourir en 1268, le pape Clément IV prit carrément le couvent sous son patronage, suivi en 1284 par le roi "Václav II", lorsque la famille "z Kounic" disparut sans descendance (c'était cool en l'époque, lorsqu'une famille noble s'éteignait, le roi héritait de l'héritage). Et c'est sans doute toute cette "haute protection" qui permit au couvent de survivre les pillages des diverses armées qui s'affrontaient là, dans les environs.
Et parce qu'il y avait vraiment tellement de pognon, qu'une fois le château fort terminé (vers 1330), on passa à une complète réfection du couvent. Dès 1328, le prévôt "Ruland" met en chantier une totale réfection du couvent roman (gnangnan) en style gothique (plus pratique). Selon les experts, l'ampleur des travaux, leur qualité équivalente à ce que construisait Mathieu d'Arras ou "Petr Parléř" pour le bon roi Charles IV, laissent à penser que de complètes corporations d'artisans renommés travaillaient sur ce chantier.
Mais arrivèrent les guerres hussites, et en 1423 le couvent fut mis à sac et incendié par ces sauvages (hussites). La voûte en pierre de l'église finit par s'effondrer, et bien que remplacée par une toiture en bois, le plafond en pierre ne fut jamais reconstruit. Les frangines eurent cependant le temps de planquer leur magot ainsi que leurs actes de propriété, et une fois les hussites calmés (1434), elles revinrent sur leurs terres afin de rafistoler les dégâts. De nombreux actes manuscrits témoignent d'une exceptionnelle activité commerciale du couvent de "Rosa Coeli" (achat et vente de villages, propriétés, domaines, accords, bail, location...), et les quelques 100 ans suivants furent suivis de procès et de disputes commerciales entre les bondieusardes, les bourgeois et les noblaillons locaux, aux points que même les papes durent intervenir afin de régler certains différents.
a) les bonnes soeurs s'échappèrent dans la nature, où qu'elles trouvèrent refuge dans d'autres couvents (le plus probable),
b) furent sauvagement assassinées par les saccageurs (mais c'est fort moins probable, et aucune trace écrite n'existe).
Quoi qu'il soit, le couvent saccagé et abandonné fut remis au roi (ben tiens), lequel par édit de 1532 loue, puis par édit de 1537 vend le domaine pour 12000 pièces d'or à son sous-chancelier, le sieur "Jiří Žabka z Limberka" comme bien inaliénable et héréditaire. Celui-ci en quête d'un chez-soi fit reconstruire le château fort en résidence principale renaissance, transforma l'église en caveau familial (pour l'anecdote, lorsqu'il mourut en 1552, il fut le premier et le seul à être enterré là), mais laissa le couvent à son triste sort. Du reste "Jiří Žabka z Limberka" fut nommé en 1544 burgrave de la forteresse du "Špilberk", alors "Dolní Kounice", il s'en battait l'oeil par dessus la jambe.
Et c'est ainsi que s'acheva l'histoire du couvent de "Rosa coeli", le plus ancien couvent de femmes en Moravie. Mais ma publie continue encore, n'vous inquiétez pas. Alors je vais faire simple et rapide, parce que c'est pas spécialement intéressant à ce moment-là d'où qu'on est. Donc le fils de "Jiří", "Burian Žabka" vend les ruines du couvent, le castel et une partie du domaine en 1567 (parfois 1561) à "Zikmund ze Zástřizl". En 1578, "Hynek a Jan ze Zástřizl" vendent le domaine à "Zdeňek Lev z Rožmitálu".
Maintenant quelques mots sur le château. Tout d'abord signalons que ce château fort était tellement fortifié, que lors de la grande invasion des Tartares de Crimée en Moravie, en 1663, il résista à l'assaut mené par quelques 10000 ennemis (faut dire qu'ils n'insistèrent pas longtemps non plus). Pis lorsque la guerre éclata à nouveau avec les Ottomans (en 1683), l'on fortifia le château fort encore plus fort (oh oui, plus fort). Finalement, le château ne fut jamais pris, du reste il ne fut jamais vraiment habité (par les propriétaires), et aujourd'hui il est totalement dévasté du dedans. Sous les con-munistes il servait d'entrepôt pour les kolkhozes de la région. Après la révolution (1989) il servait d'entrepôt pour des sociétés privées. Quant au pognon débloqué pour sa restauration, il fut "tunnelisé" comme il était de coutume dans les années 1990. "Tunnelisation"? En Tchèque on dit "tunelování" (en Anglais c'est "asset stripping" et en Français j'ai trouvé "liquidation d'actifs", mais chuis pas sûr que ce soit vraiment ça). C'est une pratique qui consiste à faire passer illégalement du pognon d'un coté du tunnel vers l'autre, sans que personne ne s'en rende compte (oui, c'est du vol pur et simple).
Sinon dans les ruines du cloître se trouvent les plus intéressants artefacts.
- la pierre tombale de l'évêque Bruno de "Olomouc" (cf. plus loin son décret), dessiné un calice à la main des sandales aux pieds, portant mention "made in China anno Christi MCCCXLIX",
- un bout de pierre tombale du prévôt Henri de "Dolní Kounice", début du XVI ème siècle (notez l'incrustation de coquillage véritable, cf. mes photos),
- et encore un bout de pierre tombale représentant une noble tête féminine aux côtés des armoiries de la famille "Žabka z Limberka", ce qui laisse à penser qu'il pourrait s'agir, selon les sources, de Anne (vers 1590) ou de Dorothée (la femme de "Jiří", décédée en 1532).
Bon, je ne vais pas vous passer en détail le plan du domaine, mais juste vous signaler quelques éléments fondamentaux. Donc l'édifice principal est l'église en forme de croix, avec une croisée de transept pratiquement au centre de l'unique vaisseau. L'entrée (dans le domaine) se fait par un portail sur le tympan duquel se trouve un (LE) Christ dans sa position préférée (dite la position du "pantocrator", Tantra-Yoga ceinture noire), 2 doigts bénissant le visiteur de la main droite, un livre de cuisine dans la main gauche.
A signaler que le bâtiment baroque derrière le cloître est inaccessible parce que privé: un fufute y construisit son appart dedans. Signalons également, mais vous vous en serez doutés, que les ruines auront inspiré au moins un poète, et curieusement pas cucul romantique, mais content pour un (et pas pour tous). Bon, chuis pas amateur en poètrie, aussi je vous le signale juste en passant, il s'agit du gars "Jan Skácel" (dont j'ignore tout). Pour ceux qui lisent le Tchèque, vous trouverez le texte de ce poème intitulé tout simplement "Rosa Coeli" en page 33, là.
Ben voilà, donc si jamais vous passez dans le coin de "Brno", passez-voir les majestueuses ruines du couvent de "Rosa Coeli". C'est pas un "indispensable", mais c'est sympa quand même, et c'est là: 49°4'7.5"N, 16°28'17.629"E.