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J’ai terminé ce week-end la lecture du récent Goncourt de Marie N’Diaye. Trois femmes puissantes. Et je ne sais pas vraiment par quel bout prendre ce roman, tellement il y a des choses à dire.
Le roman « Trois femmes puissantes » s’apparente à la narration de trois parcours de femmes. C’est effectivement la première impression que le lecteur se fait lors de l’entrée en matière avec l’histoire de Norah. Métisse comme l’auteure, cette femme mène sa vie à Paris où elle est avocate, mère d’une fille, évoluant dans une famille qu’elle a recomposée avec Jakob, une sorte de parasite, et la fille de ce dernier. Norah a tant bien que mal bâti un édifice de sa vie à force de rigueur et de sacrifice. Édifice qui se lézarde avec l’intrusion de Jakob...
Comme c’est souvent le cas dans nos tranches de vie terrienne, une nouvelle épreuve s’ajoute à ce contexte déjà branlant quand son père, basé à Dakar, lui demande en toute urgence de venir au Sénégal...
Ce premier texte offre un premier portrait qui, dans le voyeurisme conscient ou inconscient du lecteur, pourra paraître comme le plus autobiographique de ce roman. Au fil des pages, c’est la figure du père que Norah ou les événements nous révèlent. Une figure paternelle qui s’apparente à des portraits que j’ai entendus ça et là dans mon entourage... La figure africaine ayant abandonnée des enfants en Hexagone prend la forme d’une hydre monstrueuse (pléonasme). Ce retour à une source va s’avérer extrêmement violent. Les hommes n’étant pas figés dans le marbre, la confrontation entre Norah avec son père éclate pour un motif auquel elle ne s’attend pas... Le style de ce premier texte n’est pas forcément laborieux, mais il faut prendre le temps de se faire à cette écriture soignée, faite de longues phrases. La chute laissera le lecteur sur sa faim ou plutôt avec de nombreuses pistes.
Aussi étonnant que cela pourrait paraître, c’est à partir des divagations d’un homme que semble se former le portrait de la 2ème femme puissante. Rudy Descas nous livre ses états d’âme le temps d’une journée. L’homme est à la dérive. Et il tente de garder prise sur Fanta, une jeune sénégalaise qui est venue se perdre dans un trou perdu de la France profonde sur son incitation. Mais la femme puissante est-elle celle qui obsède ou celle à qui on croit tout devoir ? Marie Ndiaye brouille les pistes. Elle joue avec son lecteur à cache-cache. Ce second texte m’a paru long à lire jusqu’à ce que j’arrive au bout de l’escalade. L’art de l’écriture est aussi dans le bouquet final que l’on offre. Ici l’écriture suit le chemin tortueux et torturé du dialogue intérieur de Rudy. Intéressant.
Le lecteur attentif fera le lien entre Kadhy Demba qui est le personnage principal du dernier texte. Peut-on aussi facilement passer d’un imaginaire, d’un système de pensée à un autre ? D’une avocate métisse à un enseignant blanc expatrié pommé ? De cet enseignant à une veuve sénégalaise illettrée ? Marie Ndiaye y arrive. Avec aisance. Ce dernier texte est sûrement le plus désespéré. Celui qui draine le plus de poésie aussi.
Tous ces personnages naviguent entre la France, l’eldorado recherché, et le Sénégal terre de contraste. Avec un tel intitulé, on pouvait s'attendre à un texte féministe. Mais les choses sont beaucoup complexes que cela. Si la figure misogyne du père est contestée par une femme, ce sont bien des femmes qui persécutent une veuve sans ressource. La vérité est ailleurs, c'est certain.
Naturellement, on cherche les passerelles entre ces textes qui ne sont pas des nouvelles. Elles ne sont pas là ou on les attend. C’est avant tout une histoire de volatiles. Ne sont-ils pas la représentation de nos âmes ? Un texte très riche, dont je n’attendais pas grand-chose et qui m’a beaucoup touché par les parcours individuels qu’il propose et la spiritualité qui l’anime.
Bonne lecture !
Marie Ndiaye, Trois femmes puissantesEdition Gallimard, 1ère parution en 2009Prix Goncourt 2009, 316 pages
Photo Marie Ndiaye : Michaël Ferrier, Tokyo, copyright Tokyo/La Lézarde, 2009