Ça y est. Ça devait arriver et c'est arrivé. La Licra va porter plainte contre Éric Zemmour à cause de sa sortie dans l'émission de Thierry Ardisson, Salut les Terriens. Zemmour avait en effet déclaré que « les Français issus de l'immigration étaient plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes... C'est un fait. »
Bien sûr, on aura beau jeu de répondre qu'on ne peut rien savoir puisque les statistiques ethniques sont interdites. Cette ignorance, savamment entretenue, est bien commode pour ensuite crier au scandale et accuser les uns et les autres d'attiser les haines raciales. Mais si nous avions de telles statistiques, ou bien Zemmour aurait tort, et il ne pourrait même pas avoir dit ce qu'il a dit, ou bien il aurait raison... La question, en somme, serait tranchée et on passerait à autre chose.
Le vrai fond du problème, de toute façon, n'est pas de savoir si Zemmour dit juste ou pas. Ce qu'on lui reproche, c'est d'avoir tenu des propos racistes, de recycler, comme dit la Licra, « les vieilles lunes de l'extrême droite ». Zemmour n'a pourtant pas dit que tous les Noirs et tous les Arabes étaient des trafiquants, ni que les Noirs et les Arabes étaient des trafiquants parce que noirs et arabes, ce qui aurait constitué d'authentiques propos racistes. Il a simplement spéculé sur une réalité dont on nous interdit toute connaissance objective sous couvert de bonne conscience. Spéculation qui rend à son tour possible toutes les spéculations sur le supposé racisme de Zemmour. Pas difficile de voir à quel point cette situation est pourrie.
En lieu et place d'un débat informé, nous obtenons une confrontation de spéculations confuses. Et au lieu que la réalité objectivement décrite et analysée ne départage les uns et les autres, c'est le rapport de force médiatique et légal qui tranchera le débat. Mais quel débat peut-il y avoir si c'est la loi qui dit le vrai ?
Il faut donc s'arrêter quelque peu sur cette interdiction des statistiques ethniques. Car ce bannissement est révélateur et symptomatique du pourrissement du débat public en France. Avec tous les effets pervers que l'on peut attendre des restrictions indues à la liberté.
En toute bonne logique, on ne peut expliquer de manière satisfaisante la censure dont font l'objet les statistiques ethniques. On invoque généralement la crainte de l'usage que les racistes pourraient en faire. Pourtant, là non plus il n'y a pas trente-six possibilités. Ou bien de telles statistiques ne révèleront pas une surdélinquance des Français issus de l'immigration récente, et dans ce cas nulle crainte que les racistes ne les utilisent ; ou bien elles montreront au contraire l'existence d'une pareille surdélinquence, et dans ce cas vouloir les cacher constitue déjà un début d'aveu…
En d'autres termes, ce sont les restrictions à la liberté d'expression et au savoir qui créent les Éric Zemmour et, plus généralement, tous ceux dont les censeurs ne peuvent souffrir l'existence. Les années « d'anti-racisme », tragiquement soldées par les présidentielles de 2002, semblent, malheureusement, n'avoir rien appris à personne. Comment en aurait-il pu être autrement, d'ailleurs ? Conclure, en disant qu'il serait temps de prendre conscience de la situation préjudiciable de la liberté d'expression en France et d'appeler à un sursaut, peut sembler tentant. Ce serait bien naïf en fait. Car c'est inimaginable le nombre de ceux, y compris et surtout chez les belles âmes démocratiques, qui trouvent leur intérêt politique, idéologique ou social dans la limitation de la liberté. Au delà du cas Zemmour, c'est bien cette triste réalité que cette affaire rappelle.