Alors voilà, Mme. Colette a une buvette à Curette en Tarn & Saône. Tout d’abord, en bonne gestionnaire, elle accroche au-dessus de son comptoir l’affichette « Ici, on ne fait pas de crédit » pour se mettre à l’abri des mauvais payeurs, d’autant que la grande majorité de ses clients sont alcooliques et chômeurs. Mais, au bout de quelques mois, elle trouve que son chiffre d’affaires est insuffisant pour lui permettre de s’offrir un certain nombre d’extras dont elle a envie depuis longtemps. Elle décide donc d’augmenter le nombre de ses clients. Pour augmenter ses ventes et attirer le chaland, elle décide de faire crédit. Vu qu'elle vend à crédit, Mme Colette voit augmenter le volume des consommations et la fréquentation de sa buvette. Elle en profite pour augmenter un peu les prix de base du "calva", du ballon de rouge et de la Suze-Casse.
De son côté, le jeune et dynamique directeur de l’agence bancaire locale, lui aussi soucieux d’améliorer ses performances en termes de prêts consentis, pense que les "ardoises" du troquet constituent, après tout, des actifs recouvrables puisque les clients de la buvette augmentent, et donc il commence à faire crédit à Mme Colette, en prenant les dettes des ivrognes comme garantie, ce qui suppose évidemment que ces dettes seront remboursées un jour. Au siège de la banque, des traders avisés et experts en mathématiques sophistiquées, « titrisent » alors ces actifs recouvrables en XYZ, CQFD, SAMU, OVNI, SOS, TLDLBB, et autres sigles financiers ésotériques que nul n’est capable de comprendre. Ces produits sont alors vendus sur le marché financier et conduisent, au NYSE (New York Stock Exchange), à la City de Londres, aux Bourses de Tokyo, de Francfort et de Paris, etc…, à des opérations dites de dérivés dont les garanties et les risques sont totalement inconnus de tous (c.à.d., en définitive, la capacité des ivrognes de Mme Colette en Tarn & Saône à payer leur ardoise !). Ces "dérivés" sont alors négociés pendant des années comme s'il s'agissait de titres solides et sérieux sur les marchés financiers de 80 pays. Comme leur valeur boursière a tendance à augmenter, la demande de ses produits augmente aussi et donc … leur valeur en bourse est en hausse ! Pendant ce temps, Mme Colette, en proie à des difficultés de trésorerie du fait des impayés grandissants, emprunte de plus en plus auprès de son agence bancaire qui utilise les dépôts de ses clients pour fournir les crédits demandés. Jusqu'au jour où quelqu'un se rend compte que les alcoolos du troquet de Curette n'ont pas un rond pour payer leurs dettes et que la buvette de Mme. Colette va faire faillite … ce qui se produit. Et le monde entier est grugé et se retrouve en crise.
Le directeur d’agence est, en réalité, le patron de Goldman Sachs, les alcooliques sont les ménages américains qui se sont endettés pour acheter leur logement, les actifs recouvrables s’appellent les subprimes, la faillite de la mère Colette est celle du monde en crise financière, puis économique, puis sociale et, finalement, politique, pendant que le grand banquier pense « Après moi, le déluge ! ». Vous voyez comme les choses sont simples !