Un commissaire nommé par le Vatican va prendre le commandement des Légionnaires du Christ, orphelins de leur fondateur Marcial Maciel qui a été emporté par les scandales. C'est le résultat prévisible de huit mois d'enquêtes. Beaucoup de choses devront être changées, y compris les dirigeants actuels
Sandro Magister
ROME, le 16 mars 2010 – Alors que la tempête qui secoue l’Eglise catholique à cause des abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs fait rage, la visite apostolique ordonnée par le Saint-Siège chez les Légionnaires du Christ, la congrégation fondée par Marcial Maciel, est terminée.
L’affaire Maciel est extrême à tous points de vue. Elle repousse à des limites exceptionnelles le contraste entre l'image et la réalité. Entre l'image agréable du prêtre fondateur d’une congrégation religieuse ultra-orthodoxe, ascétique, dévote, riche de vocations dont certaines sont exemplaires, et la réalité de sa seconde vie, dissolue, faite de violations incessantes non seulement des vœux qu’il avait prononcés mais des commandements, de continuelles aventures coupables avec des hommes et des jeunes de tous âges et de toutes conditions, avec des enfants et des femmes, en nombre encore indéterminé, actuellement, disséminés partout dans le monde.
Une seconde vie qui, au moment de sa mort, a paru s’effondrer au milieu de lueurs sulfureuses. Des récits "gothiques" ont circulé sur les derniers jours de Maciel à Houston, fin janvier 2008, avant son enterrement à Cotija, sa ville natale, au Mexique.
La visite apostolique a commencé le 15 juillet 2009 et les cinq évêques visiteurs sont arrivés au terme de leur mandat au milieu du présent mois de mars, lorsqu’ils ont remis leur rapport aux autorités vaticanes. Ces cinq évêques étaient Ricardo Watti Urquidi, évêque de Tepic (Mexique) ; Charles J. Chaput, archevêque de Denver ; Giuseppe Versaldi, évêque d’Alexandrie (Italie) ; Ricardo Ezzati Andrello, archevêque de Concepción (Chili) ; et Ricardo Blázquez Pérez, évêque de Bilbao.
Ce sera ensuite les autorités vaticanes qui décideront ce qu’il faut faire. Les trois cardinaux chargés de l’affaire sont Tarcisio Bertone, secrétaire d’état, William J. Levada, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, et Franc Rodé, préfet de la congrégation pour les instituts de vie consacrée.
Mais, de toute façon, le dernier mot reviendra à Benoît XVI, le plus clairvoyant de tous. Déjà avant d’être élu pape et alors que Maciel comptait encore de très puissants protecteurs au Vatican, Joseph Ratzinger avait fait enquêter à fond sur les accusations lancées contre le fondateur des Légionnaires. Et, en tant que pape, il l’avait condamné, le 19 mai 2006, "à une vie réservée de prière et de pénitence".
Après cette condamnation, la congrégation des Légionnaires s’est pliée aux ordres du pape. Mais elle a continué à vénérer son "père" fondateur, considéré comme une "victime innocente" d’accusations fausses.
C’est seulement après sa mort et avec la découverte d’autres scandales que les dirigeants de la congrégation ont commencé à reconnaître certaines fautes de leur fondateur, même si elles ne suffisaient pas à les amener à nier la valeur de son œuvre.
Aujourd’hui encore, après les huit mois de visite apostolique, le successeur de Maciel en tant que directeur général de la congrégation, le père Álvaro Corcuera, et le vicaire général, Luis Garza Medina – qui ont été pendant des décennies, en particulier le second, de très proches collaborateurs du fondateur – ne manifestent aucunement l’intention de quitter la direction. Il en est de même pour d’autres dirigeants centraux ou locaux de niveau moyen-supérieur.
Leur ligne de défense est qu’ils n’auraient jamais rien su de la seconde vie de Maciel et que leur fidélité à l’Église et au pape, ainsi que leur expérience de dirigeants, permettraient d’assurer de la meilleure manière possible la continuité de la congrégation.
Le 5 février dernier, "L'Osservatore Romano" publiait un article dans lequel le père Luis Garza Medina, imperturbable, décrivait ce que devrait être la "vie vertueuse" du prêtre idéal. Lui qui a vécu plus que quiconque aux côtés de Maciel, qui connaissait tous ses secrets et gérait son argent et qui l’a toujours présenté comme un modèle.
Mais il est tout à fait invraisemblable que les autorités vaticanes laissent les chefs actuels des Légionnaires à la tête de la congrégation. La décision la plus probable est que le Saint-Siège nommera un commissaire de son choix, doté de pleins pouvoirs, et fixera les lignes directrices d’une refondation complète, y compris le remplacement des dirigeants actuels.
Mais refonder complètement une congrégation dans laquelle l'empreinte du fondateur indigne est encore aujourd’hui très forte sera une entreprise difficile.
Les prêtres et les séminaristes qui, jusqu’à hier, étaient imprégnés des écrits attribués à Maciel auront du mal à trouver de nouvelles sources d’inspiration, non pas générales mais spécifiques pour leur ordre. Et les chefs actuels de la congrégation ne les y aident pas, bien au contraire. Au cours des derniers mois, un ancien secrétaire personnel de Maciel, le père Felipe Castro, a travaillé avec d’autres prêtres de la Légion à sélectionner, dans la très abondante correspondance du fondateur, un groupe de lettres à "sauver" pour l’avenir, afin de garder vivante une image positive de Maciel.
La dépendance des Légionnaires vis-à-vis de Maciel était – et, pour beaucoup d’entre eux, est encore – complète. Pas une miette de la vie quotidienne n’échappait aux règles qu’il avait édictées. Des règles minutieuses jusqu’à l’invraisemblable. Elles indiquaient, par exemple, comment s’asseoir à table, comment utiliser sa serviette de table, comment déglutir, comment manger du poulet sans se servir de ses mains, comment ôter les arêtes d’un poisson.
Mais ce n’était rien par comparaison avec le contrôle exercé sur les consciences. Le manuel permettant de faire son examen de conscience à la fin de la journée comportait 332 pages et des milliers de questions.
Il y avait aussi – et il y a toujours – les statuts véritables. Beaucoup plus longs et détaillés que ceux qui étaient fournis aux évêques des diocèses où les Légionnaires ont leurs maisons. Les cinq visiteurs ont eu beaucoup de mal à obtenir les statuts dans leur intégralité.
On découvre dans les statuts que, en plus des trois vœux classiques des ordres religieux - pauvreté, chasteté et obéissance - les Légionnaires étaient tenus d’en prononcer deux autres – plus un troisième dit "de fidélité et de charité" pour les membres choisis de la congrégation – qui interdisaient tout type de critique et en même temps obligeaient à dénoncer aux supérieurs les confrères surpris à violer cette interdiction.
Ces vœux supplémentaires auraient été supprimés par ordre du Saint-Siège en 2007. Mais il n’apparaît pas que cette suppression ait été notifiée à l’ensemble des Légionnaires.
Dans la congrégation fondée par Maciel la frontière n’est pas toujours perceptible entre l’esprit d’obéissance et l’esprit de soumission.
Chez les Légionnaires, les règles encouragent la compétition pour savoir qui réussira à faire le plus grand nombre de prosélytes. Et le novice entre tout de suite dans une machine collective qui absorbe complètement son individualité. Tout est contrôlé et réglementé méticuleusement, par une forêt de limitations. Du courrier personnel aux lectures, des visites aux voyages.
Au cours des huit mois de la visite apostolique, ce contrôle ne s’est relâché que partiellement. Certains prêtres ont signalé aux visiteurs les éléments qu’ils considéraient comme mauvais. D’autres ont abandonné la congrégation et se sont fait incardiner dans le clergé diocésain. D’autres sont restés pour défendre l’héritage de Maciel. D’autres apparaissent comme égarés. D’autres encore, enfin, croient à la renaissance, sur de nouvelles bases, d’une congrégation religieuse qui est une partie de leur vie et qu’ils continuent à aimer.
Pour une analyse plus fine et de l'intérieur de l'actuel drame des Légionnaires du Christ, voir le reportage de www.chiesa comportant une interview du père Thomas Berg, qui appartenait il y a un an encore à la Légion et qui est aujourd’hui incardiné dans l'archidiocèse de New York :
> Bataille finale pour les Légionnaires. Interview exclusive du père Thomas Berg (13.7.2009)
L’article de www.chiesa à propos des faits qui ont conduit à la visite apostolique :
> La Légion est à la dérive. Trahie par son fondateur (16.2.2009)
On a appris, au début de 2009, l’existence d’une fille de Maciel, qui habite en Espagne et a un peu plus de vingt ans. Depuis, d’autres personnes s’y sont ajoutées, qui affirment être ses enfants.
Deux d’entre eux, Raúl et Christian González Lara, seraient nés d’une relation de Maciel avec une Mexicaine, Blanca Esthela Lara Gutierrez. Celle-ci a déclaré qu’elle avait fait la connaissance de Maciel à Tijuana en 1976 et qu’il lui aurait toujours dit qu’il s’appelait José Rivas et qu’il était agent de la CIA.
Raúl a aujourd’hui 31 ans et Christian 17. Le premier a affirmé, lors d’une émission de radio au Mexique, que son père lui avait fait subir des abus sexuels dès l’âge de 8 ans.
À Mexico, l'avocat des deux fils présumés, José Bonilla Sada, a renoncé ces jours-ci à les défendre, après avoir appris qu’ils auraient demandé 26 millions de dollars à la congrégation des Légionnaires du Christ en échange de leur silence.
Pour retrouver les précédents reportages de www.chiesa à propos des Légionnaires du Christ :
> Focus MOUVEMENTS CATHOLIQUES
Le site web multilingue des Légionnaires du Christ :
> Légionnaires du Christ
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Les statuts, les règlements et autres documents des Légionnaires du Christ sont accessibles moyennant finances sur le site suivant :
> wikileaks
Un vaste compte-rendu de la première visite apostolique effectuée par le Saint-Siège chez les Légionnaires du Christ de 1956 à 1959, qui s’était terminée par l'absolution de Maciel, se trouve sur cet autre site dont le nom du responsable n’est pas connu :
> cassandrajones
L’un des cinq visiteurs envoyés chez les Légionnaires du Christ, l’évêque d’Alexandrie Giuseppe Versaldi, a publié dans "L'Osservatore Romano" du 14 mars 2010 l’article suivant sur le scandale des abus sexuels qui ont été commis sur des mineurs :
> La rigueur de Benoît XVI contre la saleté dans l’Église
Et le promoteur de justice de la congrégation pour la doctrine de la foi, Charles J. Scicluna, a rappelé dans une interview qu’il a accordée le 13 mars à "Avvenire" que déjà, en tant que cardinal, Joseph Ratzinger avait "fait preuve de courage dans le traitement de cas extrêmement délicats" :
> "Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une meule de moulin..."
L’un de ces "cas extrêmement délicats" a été celui de Marcial Maciel. Mais d’autres dénonciations sont actuellement en cours contre d’autres Légionnaires, pour des actes semblables à ceux qui ont été commis par leur fondateur. Il est évident que la congrégation n’aura pas d’avenir si elle ne se purifie pas de ces "saletés".
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
www.chiesa