Une erreur politique. Il n'y a pas d'autres mots pour qualifier la politique de soutien aux panneaux solaires en Espagne. « Une erreur qui représenterait l'équivalent de 40 euros par ans pendant 25 ans à chaque espagnol » affirme Serge Poignant, auteur d'un rapport parlementaire français sur le développement des énergies photovoltaïques. Ce rapport, favorable à un tel développement, met en garde contre les pièges à éviter en la matière. Et à ce titre, l'Espagne fait figure d'exemple à ne pas suivre… Tout commence en 2005 quand, pris dans la course aux énergies renouvelables, le gouvernement espagnol instaure un vaste programme de développement des énergies solaires dites « photovoltaïques ». Un objectif ambitieux est alors fixé : atteindre 400 MW de puissance installée à l'horizon 2010. L'objectif est largement atteint dès 2008 avec 3200 MW. Mais à quel prix… Car cette progression exponentielle n'est pas simplement due à la conscience écologique des industriels du secteur de l'énergie. Un mécanisme classique d'obligation d'achat au tarif de 45 centimes d'euros le kWh fut en effet fixé par décret en 2007. La commission espagnole de l'énergie évaluait à 12% la rentabilité d'un investissement dans ce secteur. Investissement d'autant plus rentable qu'il est garanti sur une période de 25 ans. De tels taux ont donc attiré non seulement des industriels mais aussi de nombreux spéculateurs qui ont vu dans le photovoltaïque un secteur des plus rentables. Les espérances du gouvernement se trouvent alors très vite comblées. Trop vite peut-être. Entre 2007 et 2008 le nombre d'installations de panneaux solaires passe de 20 000 à 48 500. Le secteur est en plus producteur d'emplois. De 25000 en 2007, le nombre de personnes travaillant dans le photovoltaïque passait à 60000 en 2008. Mais cette croissance folle n'était en fait qu'artificielle. L'explication ne tenait qu'à ce tarif garanti excessivement avantageux. Serge Poignant conclut : « les prévisions envisageaient l'affectation de 80 millions d'euros en 2008, les engagements pris sous l'empire du décret de 2007 atteignent (…) la somme de 1,6 milliards d'euros annuels sur une durée de 25 ans ». Des dépenses colossales alors que le ministre de l'Industrie, Miguel Sebastian, avoue que l'Espagne a « importé en un an 2,5 milliards d'euros de panneaux solaires pour produire à peine 0,8 % de notre électricité » [1].
Un malheur n'arrive jamais seul. Le décret de 2007 contenait une option à disposition du gouvernement pour faire face à ce genre d'imprévu : à un stade de développement atteint, le gouvernement pouvait décider la modification des prix d'achat obligatoire. Mais une fois le principe d'une modification arrêté, un délai d'un an était à respecter avant qu'une modification puisse avoir effectivement lieu. En septembre 2007, le gouvernement utilise cette possibilité. S'ouvre alors la période d'un an qui n'a fait qu'attiser les investissements et précipiter les spéculations … Un décret de septembre 2008 met fin à cette catastrophe en rabaissant les tarifs à 32 centimes. L'Espagne n'a plus qu'à constater les dégâts. L'association des industriels espagnols du photovoltaïque déplorait dès mars 2009 la perte de 20000 emplois. Le secteur des photovoltaïques habitué à s'allaiter au bon lait de ces « subventions » tombe de haut et vit mal la volte-face du gouvernement : « le ministère de l'Industrie a décidé le freinage brusque du photovoltaïque. Mais une chose est de rationaliser l'industrie et une autre de la supprimer » déplore Javier García Breva président de l'Association des producteurs d'énergies renouvelables. Il ne manquait plus que l'entrée en scène de la crise financière et la baisse du prix du pétrole pour achever le secteur. Les responsables de l'administration et de la commission de l'énergie sont « dépités » même si les retombées médiatiques et politiques - aucune démission n'a eu lieu - sont quasi nulles.
La France à l'abri de telles dérives ?
Depuis le Grenelle de l'environnement, la France s'est lancée dans la course et souhaite dépasser en 2020 l'objectif européen qui est de 20% d'énergies renouvelables dans la consommation finale. Les éoliennes qui se sont rapidement développées semblent aujourd'hui connaître un coup de frein au profit du photovoltaïque. La France a également son système d'achat obligatoire des énergies photovoltaïques via la Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE) payée in fine par le consommateur. Cette contribution est reversée à EDF ou aux entreprises locales de distribution pour compenser les charges supportées du fait de cet achat obligatoire, qui plus est à un tarif prédéterminé. Ce système a pour avantage d'inclure dans le prix de l'électricité l'augmentation des énergies renouvelables. « Ainsi, si le secteur des photovoltaïques augmentait comme en Espagne, une réaction des consommateurs serait prévisible car ils verraient le prix de l'électricité augmenter en conséquence » affirme le député Serge Poignant. Or en Espagne, le prélèvement se fait directement sur le budget de l'Etat. Le consommateur ne voyait pas sa facture augmenter. Le temps de réaction de l'Etat a donc été plus lent… Autre bouclier contre ces dérives : les tarifs différenciés. Là où l'Espagne avait un tarif unique d'achat obligatoire, le gouvernement français différencie les tarifs en fonction des types d'installations : les nouveaux viennent d'être fixés et sont de 58 centimes d'euros le kWh pour les installations « intégrés au bâtie » et de 31,4 centimes d'euros le KWh pour les installations industrielles au sol, « les fermes solaires », avec des variations selon l'ensoleillement des régions. Autre différence avec l'Espagne : les vastes espaces « libres », comme le désert Andalou, étaient propices aux implantions d'installations pharaoniques. En France, les endroits les plus ensoleillés sont aussi les plus touristiques. Difficile d'y envisager l'implantation de km² de panneaux… Dernière mesure de prudence : le gouvernement a établi un système de dégressivité des tarifs à partir de 2012. Au fur est à mesure que les panneaux solaires se développeront, les tarifs d'achat obligatoire devraient baisser proportionnellement. Autant de précautions qui devraient éviter à la France de tomber… dans le panneau !
Voir aussi sur Contrepoints :
[1] Cf. La Tribune - 05/02/2009
Image : Champ de panneaux solaires sur la base aérienne de Nellis aux Etats-Unis. Image de l'armée américaine, libre de droits.