&
Nougaro la voix royale (Christian Laborde)
Cette biographie vient d’un cours de français que le professeur Christian Laborde s’apprêtait à donner à ses élèves avant d’être suspendu suite au livre qu’il venait de publier « L’os de Dyonisos » et dans lequel il fantasmait sur la mort d’une directrice d’école. On était sous l’époque Pasqua.
N° 14
Claude Nougaro est né le 9 septembre 1929, à Toulouse, au n° 14 de l’avenue ArnaudBernard. La biographie de Laborde est agrémentée de textes inédits de Nougaro. « Lait caillé » est le premier de ces textes, il date de 1986 et relate l’enfance de Nougaro quand celui-ci allait chercher du lait caillé avant d’aller à l’école : « Je me souviens du lait caillé/du lait caillé au lait de chèvre/qui me faisait au bord des lèvres/venir l’eau comme l’écailler...
Pendant la grossesse de Mme Nougaro, Toulousaines et Toulousains dansent le one-step, le fox-trot, le Shimmy et le charleston.
Salades
Le père de Nougaro chante et se prénomme Pierre, la mère se prénomme Liette et l’écoute chanter. Très vite, ils sont absents. Alexandre et Cécile, parents de Pierre, élèvent Claude dans un faubourg désert, dont les jardinets sont encombrés de salades basses. Claude entend des mots patois, joue et s’ennuie.
Alexandre
Alexandre est natif de Muret, c’est un colosse qui travaille au Capitole.
Cécile
Cécile est sage-femme et a mis Claude au monde.
Saïgon
Pierre, premier baryton de l’Opéra de Paris, chante Wagner, Massenet, Verdi, Puccini. Liette, premier prix de conservatoire joue Beethoven, Chopin, Debussy, Fauré. Le 26 octobre 1928, ils se produisent à Saïgon.
Note
Maman Cécile et papa Alexandre ! Ainsi Claude nomme-t-il ses grands-parents, en présence de ses propres parents. Règlements de comptes à ok Faubourg ! Pas question que la star du bel canto ignore ce que le gosse encaisse.
TSF
Boulevard des Minimes, chez Maman Cécile, sur le buffet de la cuisine, un poste à galène, Radio Toulouse. Pour indicatif « La Toulousaine ». Le refrain deviendra le refrain « O Toulouse ». Claude écoute Piaf, Trenet, Maurice Chevalier, Glenn Miller et Armstrong. Claude, à dix ans, entend une musique venue d’ailleurs et lui parle de lui.
Ugh !
Sur Radio Toulouse, Hugues Panassié diffuse sa collection de disques de jazz. Nougaro a écrit un texte inédit en 1981 sur une publicité qui passait sur Radio Toulouse « Vermifuge Lune » : Vermifuge vermifuge vermifuge Lune/Est-ce à cause de ce « ver » mi refuge mi lunaire que tu chantes sous ma plume/Vermifuge Lune...
Faubourg
Claude est l’enfant du Faubourg des Minimes. Le Faubourg des Minimes était réellement un faubourg, un de ces lieux hybrides où l’on se trouve exilé de la ville sans être accueilli par la campagne, ce qui explique une mentalité complexe. Claude rencontre son premier amour, Maria, qui dans « Un été » devient Paquita.
Langue
Les occitanistes bornés reprochaient à Nougaro de chanter en français et non en occitan.
Nijinski
« Pour papa, les danseurs étaient tous homosexuels. C’était l’axiome, le postulat. Et quand je lui déclarais, un jour, dans la voiture : « Papa, je serai le nouveau Nijinski ! » il fit immédiatement demi-tour et m’alla boucler sur-le-champ dans l’enfer de Sorèze (école de Nougaro) pour m’éviter, sans doute, l’enfer de Sodome. Seulemnt, Sorèze, c’était Sodome... »
Paletot
De l’école des Minimes, Claude fut renvoyé pour indiscipline. De l’école royale militaire de Sorèze, prison étanche, il s’évade.
Substrat
Occitanismes syntaxiques et lexicaux sont bannis du français parlé. L’accent aussi, avec ces e muets qui, ici, ne le sont pas. Ce e muet que l’école condmane et qui, pour cette raison recule, Claude Nougaro le réinjecte dans sa parole et dans son chant comme charpente sonore, comme matériau purement esthétique.
Zoom
Nougaro répond de la façon suivante à la question d’un journaliste sur la chanson française prétendue « art mineur » : « Mineur, oui, mais mineur de fond ! ». Permettez que je me rende au charbon de mon langage et que je suce le gravier des mots pour en faire des émeraudes ».
Cinoche
Ecran, et formes, et forces. Le faubourg coupe Claude des éléments, de l’herbe grosse, de l’air et de la peur des arbres. Le cinéma lui offre les jungles, les tribus, les rapides, les corps noirs, les baobas, les pagaies, les sagaies, le cri de Tarzan, les lianes, l’haleine de Diane, et les jambes de Dorothy Lamour. Energie fraîche, rire primitif, l’être animale, une oasis est entrevue, qui sera dans le tour de chant.
Le cinéma
« A bout de souffle » renvoie au film noir américain, à des héros auxquels Nougaro, sur scène, peut de nouveau s’identifier.
Rosa Rosae Rosam
Claude Nougaro n’est pas l’élève brillant que fut Raymond Abellio, enfant des Minimes comme lui. Claude – carrière de Pierre et fugues obligent – est trimbalé d’un collège à l’autre. Les mathématiques, dont le « cartable orange » de Fanny, dans « Plume d’ange », est « tout rebondi », lui paraissent de l’hébreu. Mais les dictées, les belles phrases dites et répétées, Edmond Rostand, les rédactions, la poésie, le dictionnaire, la langue française, Victor Hugo, voilà son bonheur dans le cadre étroit et glacé des collèges de province ! Le père d’Astarac, professeur de français, à l’Ecole royale militaire de Sorèze, écrit à l’encre rouge, dans la marge d’une rédaction de Claude : « Faites avec amour oeuvre belle et ciselée ! ».
Baccalauréat
Claude Nougaro échoue au bac. L’écoute quasi systématique des disques de Duke Ellington, d’Ella Fitzgerald et de Louis Armstrong, dans une chambre séparée des bâtiments principaux du collège de Cusset, à Vichy, ne constitue en rien un entraînement efficace à lart toujours périlleux de la dissertation. Pas plus que la lecture, quasi exclusive, des textes d’Antonin Artaud, poète ignoré des correcteurs de l’Education nationale.
Piges
Pas de bachot, mais le goût des mots. Des mots que publie, en 1950 à Vichy, le Journal des curistes, puis en Algérie, l’Echo d’Alger. Poèmes, enquêtes, piges, survie, c’est La Chaisière de Vichy.
Alger
Alger, oui, et Constantine où Claude rejoint son père, Alger où, libéré des obligations militaires, il décrit dans le journal local le défilé du 14 juillet et rend compte des concerts et ballets.
Place des Ternes
Pierre et Liette Nougaro habitent place des Ternes, dans un bel et vaste appartement. Claude loge au-dessus dans une chambre de bonne. Pierre va souvent au Lapin agile et demande au patron s’il voudrait écouter son fils.
Le Lapin agile
Le Lapin agile est avec le Chat noir, un des temples de l’esprit montmartrois. Claude dit « Pégase », Frédé l’embauche et Vivi, le gendre de Frédé devient son ami. Claude dit : « Je n’ai jamais su parler aux femmes, mon copain Vivi me donne des cours ». Le texte « Pégase » lu et écrit par Nougaro au Lapin agile est publié par Christian Laborde, en voici un extrait : « Certes Paris est le cheval Pégase/Si Pégase est une vache enragée pour s’envoler avec lui vers l’extase.Comme une gaze il faut être léger.
Jean-Roger
Nougaro, comme Jean-Roger Caussimon démarre par un récital poétique. Poèmes et récits, humour et lyrisme. Dire à Paris, en 1953, est possible au Lapin agile.
Jésus
Jésus est un texte écrit par Nougaro en 1976 que Michel Galabru a récité au hasard d’une émission de télé. On y trouve beaucoup d’humour sur le fils de dieu.
Audiberti
Au Deux-Magots, Nougaro rencontre Jacques Audiberti. Claude l’écoute et boit. Poète et père. Audiberti lui parle d’une enfance, d’une adolescence semblables aux siennes.
Cloison
Nougaro déserte l’avenue des Ternes pour le 26, rue des Saules. Claude commence à chanter au Lapin agile accompagné au piano par Jean-Michel Arnaud et Marc Berthomieux. Il chante « Bip bip » un clin d’oeil à Gagarine. Laborde évoque les textes de Nougaro écrits en 1956 pour le Lapin agile, il y a « Rauque and drôle n° 1 (au rasoir) », un texte sur les coiffeurs. Nougaro écrit aussi « Méphisto » et « Le sentier de la guerre » pour Edith Piaf.
Jimmy Walter
Jimmy Walter est pianiste. Il accompagne Claude en 1958 quand Nougaro chante « Il y avait une ville » qui se retrouvera sur son premier album.
Bombe
La bombe c’est celle d’Hiroshima dans « Il y avait une ville ». Elle est aussi dans « Le mort » un poème dit au Lapin :
Le Mort
Un mort végétarien
se portait comme un charme
des violettes de Parme
lui poussaient dans les reins
Les troupeaux engraissaient
broutant ce mort fertile
et les enfants des villes
le buvaient dans leur lait...
Jazz
Une musique noire venue des Amériques atterit donc, somptueuse, sur le buffet de Maman Cécile en 1940 ! Introduit dans une revue du Casino de Paris en 1917, le jazz, dans un premier temps, séduit les écrivains et les musiciens. Elle séduit Ravel, Honegger, Cocteau, Bataille. Vian viendra avec Henri Salvador mais Sartre dit : « Le jazz, c’est comme les bananes, ça se consomme sur place ».
Bouches
Les mots de Nougaro dans la bouche des autres : « Le balayeur du roi », « Le monsieur qui volait », « Le barbier de Séville », celle de Marcel Amont; « La sentinelle », « L’homme de l’équateur », « Les touristes », « Joseph » dans celle de Philippe Clay.
Donc
Il est né en 1929, fait sa communion solennelle pendant que le général de Gaulle, à Londres, lance l’appel du 18 juin. Le jour de ses vingt ans, Edit Piaf chante « L’hymne à l’amour » et en 1955, quand il débute au Lapin agile, André Breton publie chez Grasset « Farouche à quatre feuilles ».
Maurice
Maurice est né en 1929, comme Claude, mais en juin. Son père et son frère sont accordéonistes. Maurice Vander suit, au conservatoire, les cours d’Agnès Félicie de la Trappe. Maurice Vander compose, joue avec Django Reinhardt au club Saint-Germain, en 1948, et fait du métier quand Claude vient l’écouter, en 1958, en compagnie de Vivi.
Encres
Nougaro rencontre Jacques Datin et Michel Legrand. Ils travailleront sur les chansons qu’il écrira pour Clay et Amont.
1959
Un premier album. Neuf titres et l’orchestre de Jimmy Walter. La rencontre est celle d’Henri Salvador qui signe la musique de « Vachement décontracté » et signe un texte sur la pochette. Le succès n’est pas au rendez-vous.
Mike
Michel Legrand est le fils de Raymond Legrand, « arrangeur américain » de l’orchestre Ray Ventura, directeur artistique chez DECCA. Michel dirige Miles Davis et écrit la musique des Parapluies de Cherbourg. En 1962, il s’enferme aux Studios Blanqui avec Claude Nougaro, lequel a fait provision de scotch et de victuailles diverses.
Chorus
Claude travaille avec Michel Legrand contre l’avis des « gens du métier ». Legrand ne serait pas un mélodiste et donc n’aurait aucun sens de la chanson.
Alboum !
Le disque sort chez Philips, on se l’arrache. « Une petite fille en pleurs », que Philippe clay avait refusé d’enregistrer, est le tube de l’été.
Yéyé
Claude nougaro se fait connaître en pleine vague yé-yé, mais n’a aucun point commun avec les artistes qui font comme lui la une de Salut les copains.
Telex
Jacques Audiberti s’était réjoui du succès du 2è album de Nougaro et lui avait écrit : « Enchanté du succès du disque ! Certes, vous avez un grand, grand et fort, et sûr talent. Sauvez le poème. Et croyez à ma grande et affectueuse confiance. Salut à tous ».