L'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine), installé depuis 1989 sous les arches de l'Abbaye d'Ardenne, dans le Calvados, rassemble sans doute ce que la mémoire de l'édition contemporaine compte de plus précieux. Inutile d'ajouter que pour y pénétrer, il faut montrer patte blanche. Seuls y sont admis en effet quelques initiés (chercheurs, éditeurs, archivistes...). Ils s'y sont d'ailleurs retrouvés récemment pour y mener une réflexion autour des problématiques auxquelles l'édition du livre se trouve confrontée, liées aux enjeux économiques, avec la numérisation et le livre numérique, ou sociologiques, avec les études de lectorat conduites dans une perspective internationale au travers de cette médiation culturelle spécifique qu'est la traduction.
Au-delà de ces rendez-vous confidentiels, et de leurs augustes finalités, la valeur patrimoniale d'un tel lieu est inestimable, vous l'auriez juré, à une époque (la nôtre) où le futile et l'éphémère occupent souvent la meilleure place. Imaginez donc : pour peu que vous possédiez un titre quelconque à faire valoir pour en pousser la porte, peut-être aurez-vous la chance de tomber sur un trésor aussi impayable que celui-ci : une fiche synthétisant le point de vue de deux lecteurs des éditions du Seuil après examen d'un manuscrit envoyé par un inconnu : Samuel Beckett.
Le manuscrit, proposé par une certaine Mme Clerx (?), avait été reçu le 30 septembre 1947. Il s'agissait de Quatre nouvelles.
Premier avis (lecteur inconnu, nous dit-on) : " Plein de talent. Quelques effets de style un peu faciles et quelques vulgarités moins voulues que l'auteur voudrait le faire croire. Mais ce Samuel Beckett est à publier ".
Second avis (lecteur : Albert Béguin, selon Raphaël Sorin) : " Un très grand talent, certes, mais dont l'auteur abuse, jusqu'à en faire un système, une série de trucs à répétition. Et puis, c'est une littérature odieuse, tout ce qu'il y a de plus à la mode, fait pour que se pâment d'aise les habitués des vendredis rue Sébastien-Bottin. Un piège pour amateurs de langage. Les obscénités ne sont pas le pire (quoique la première nouvelle en soit imbuvable) mais la monotonie des je ne sais pas, des j'ai oublié... " (Ce n'est pas nous qui soulignons le très grand talent et la littérature odieuse, mais Béguin lui-même).
Réponse communiquée par le Seuil à l'auteur le 28 novembre 1947 après réunion du Comité de lecture : " manuscrit refusé ".
Ce n'est pas joli, ça ? Du coup, on regrette que les archives de l'IMEC ne soient pas libres d'accès. Enfin, soyons sérieux, ne s'y trouvent pas seulement sauvegardées de telles pièces. Heureusement. Si vous voulez en savoir plus : ardenne@imec-archives.com.