CJUE, arrêt du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais, C-325/08.
La Cour de Justice était saisie dans cette affaire d'un conflit opposant le club de foot anglais de Newcastle et le club français de l'Olympique Lyonnais (OL) au sujet du transfert d'Olivier Bernard. Ce joueur a été formé par l'OL (en 1997) et s'est vu proposé, en 2000, un contrat de joueur professionnel au sein de ce club. Il a refusé, préférant signer avec le club de Newcastle. Or, un joueur formé localement est, selon la charte nationale française du joueur de football en vigueur au moment des faits, tenu de signer son premier contrat de jouer professionnel avec son club formateur, sauf s'il lui paye une indemnisation.
L'OL a donc assigné Olivier Bernard en dommages et intérêts. Si, dans un premier temps, l'OL a obtenu un dédommagement, par la suite, la Cour d'appel de Lyon a considéré que cette règle imposant la signature d'un contrat avec le club formateur était contraire à l'article 39 du Traité CE (45 TFUE) et ne pouvait donc donner lieu à une indemnisation. L'OL s'est pourvu en cassation contre cette décision de la Cour d'appel. La Cour de cassation française interroge donc la CJUE sur la compatibilité de la règle imposant aux joueurs formés localement de signer un contrat avec leur club de formation sauf en cas de paiement d'une indemnité avec les règles relatives à la libre circulation des travailleurs.
Ce faisant, la Cour avait l'occasion de revenir, de préciser, sa jurisprudence Bosman. Cet arrêt est d'autant plus attendu que cette question de l'effet de la jurisprudence Bosman sur le monde du football revient régulièrement au coeur du débat. La Commission elle-même a adopté sur cette problématique une attitude bienveillante, considérant qu'une obligation d'aligner sur le terrain un nombre minimum de joueurs formés localement respecte le principe de proportionnalité.
En l'occurrence, l'arrêt Olympique Lyonnais sera certainement être lu comme un très important tempérament aux conséquences les plus extrêmes de la jurisprudence Bosman. On peut penser, à cet égard, qu'une lecture purement "dérégulatoire" de la jurisprudence Bosman, adoptée dans cette affaire par la Cour d'appel de Lyon, est remise en cause. Cette évolution doit être approuvée, et ce pour le plus grand bien du football professionnel lui-même... Toutefois, une lecture attentive de l'arrêt Bosman permet déjà de pressentir, en grande partie, la réponse de la Cour dans l'affaire OL.
Ainsi, dans cet arrêt, la Cour note que l'article 45 TFUE s'oppose "aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre" (point 33). Dès lors, cette charte sportive constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs-footballeurs. Rien que du très connu jusque là.
Mais "compte tenu de l’importance sociale considérable que revêtent l’activité sportive et, plus particulièrement, le football dans l’Union, il convient de reconnaître comme légitime l’objectif consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs" (point 39). La reconnaissance de cet objectif remonte à Bosman, et ne peut donc surprendre. Poursuivant un objectif légitime, cette clause de la Charte française peut donc être justifiée à condition de respecter le principe de proportionnalité.
S'agissant de l'éventuelle indemnité à payer en cas de signature avec un autre club à l'issue de la période de formation, la Cour indique que celle-ci permet en effet d'atteindre l'objectif susmentionnée mais que, in casu, les "dommages-intérêts étaient calculés non pas par rapport aux coûts de formation que le club formateur avait supportés, mais au regard de la totalité du préjudice subi par ce club". (point 47) Ils n'avaient donc pas simple valeur d'indemnisation et vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de promotion de la formation de jeunes joueurs.
Dès lors, "l'article 45 TFUE ne s’oppose pas à un système qui, afin de réaliser l’objectif consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs, garantit l’indemnisation du club formateur dans le cas où un jeune joueur signe, à l’issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d’un autre État membre (...) (mais n')est pas nécessaire pour garantir la réalisation dudit objectif un régime (...) selon lequel un joueur «espoir» qui signe, à l’issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d’un autre État membre s’expose à une condamnation à des dommages-intérêts dont le montant est sans rapport avec les coûts réels de formation".
Décider autrement aurait en effet été une remise en cause frontale de l'interdiction des indemnités de transfert non liées au coût réel de formation, ce qui était justement au cœur de l'arrêt Bosman (voir surtout le point 109). Toutefois, ce qui frappe surtout ici est le changement de ton de la Cour depuis ce dernier arrêt. Là où l'arrêt Bosman était volontiers catégorique dans la disqualification des justifications avancées pour justifier les indemnités de transfert, la Cour ne cite, dans l'arrêt OL, que les parties les plus favorables à la règle des joueurs formés localement.
Ainsi, il est remarquable que la Cour mette en avant une citation isolée de l'arrêt Bosman où elle indiquait que "la perspective de percevoir des indemnités de formation est de nature à encourager les clubs de football à rechercher des talents et à assurer la formation des jeunes joueurs" (point 41 de OL et 108 de Bosman).
Le lecteur curieux remarquera que, dans la foulée, elle indiquait, au point 109 de l'arrêt Bosman, que "la perspective de percevoir de telles indemnités ne saurait constituer un élément déterminant pour encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs ni un moyen adéquat pour financer ces activités, notamment dans le cas des petits clubs". A comparer avec le point 44 de l'arrêt OL où la Cour indique que "les clubs formateurs pourraient être découragés d’investir dans la formation des jeunes joueurs s’ils [ne récupéraient pas les] sommes dépensées (...). Tel est, en particulier, le cas des petits clubs formateurs dont les investissements réalisés au niveau local dans le recrutement et la formation des jeunes joueurs revêtent une importance considérable pour l’accomplissement de la fonction sociale et éducative du sport".
Bref, il y a très clairement un changement de ton. Il est vrai que les effets, pour les "petits clubs", de l'évolution récente du football professionnel sont désormais bien visibles.
Après la splendide (et méritée) élimination du Real de Madrid, c'est donc une seconde victoire de l'OL contre le foot "spectacle".