Comment dire au-revoir ?
Comment saluer une dernière fois celui qui est déjà parti, qui est déjà sourd et aveugle à notre regret mais aussi, et c'est bien, à nos emportements ? Comment mettre sa jeunesse en croix ?
Peut-être quelques notes de musique. Ce n'est pas au jazz que l'on pense spontanément à l'évocation de la musique de Jean Ferrat. Même si Ricardo del Fra et Pierre Michelot furent les contrebassistes de ses derniers enregistrements en 1995.
En écoutant TSF, ce matin, j'ai découvert grâce à Pierre Bouteiller ce titre de Sylvain Luc, extrait d'un album consacré aux "standards", toutes musiques confondues. Aux côtés de Satin doll ou Autumn in New York, le guitariste propose une vision toute en finesse et nostalgique de La Montagne. Malheureusement, je ne peux vous l'offrir ou l'offrir à Jean, pour l'aider à partir sur la musique des anges. Inconnu par Deezer, 30 secondes seulement chez Musicme, mais c'est vraiment très beau.
En 1995, Jean Ferrat rendait un dernier hommage à Louis Aragon. Il mettait en musique et enregistrait , notamment, un texte que je n'ai découvert que ces derniers jours : Épilogue. Voici la chanson, puis le texte. Certains de ces mots, en ce jour qui verra enfouir le chanteur sous la terre, me touchent et me troublent. Vous aussi peut-être ?
J'en extrais ces mots :
Le drame il
faut savoir y tenir sa partie et même qu'une voix se taise
Sachez-le
toujours le chœur profond reprend la phrase interrompue
Du moment
que jusqu'au bout de lui-même Le chanteur a fait ce qu'il a pu
Qu'importe
si chemin faisant vous allez m'abandonner comme une hypothèse.
Puisses-tu, Jean, trouver ce monde joli que nous cherchâmes ensemble à distance qui, le temps d'une sérénade, marie Cerise et Grenade aux cent fleurs du mois de Mai.
Une signature sous le mot Amitiés
Poème d'Aragon
La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents
traversent
Les courants d'air claquent les portes et pourtant aucune
chambre n'est fermée
Il s'y assied des inconnus pauvres et las qui
sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si
bien qu'on n'en peut plus baisser la herse
Quand j'étais jeune
on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme
j'y ai cru comme j'y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le
temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les
yeux
Et ce qu'il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court
que pour eux le vent change
J'écrirai
ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon
souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit
dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd
qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je vois tout ce que
vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n'aurez
rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne
vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je
vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes
Bien
sûr bien sûr vous me direz que c'est toujours comme cela mais justement
Songez
à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans
l'engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient
même pas leur cage
Est-ce qu'on peut avoir le droit au désespoir le
droit de s'arrêter un moment
J'écrirai
ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y
battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon
souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit
dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd
qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Songez qu'on arrête
jamais de se battre et qu'avoir vaincu n'est trois fois rien
Et que
tout est remis en cause du moment que l'homme de l'homme est comptable
Nous
avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d'épouvantables
Car
il n'est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien
Et
vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la
victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu cela que d'autres
sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l'Acropole et qu'on
les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune
de l'histoire
J'écrirai ces vers à
bras grands ouverts qu'on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte
à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je
suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son
champ
Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux
comme plâtre
Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut
regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n'est pas
moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l'entendre qui
renaît comme l'écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au
monde à chanter et le drame est l'ensemble des chants
Le drame il
faut savoir y tenir sa partie et même qu'une voix se taise
Sachez-le
toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Du moment
que jusqu'au bout de lui-même Le chanteur a fait ce qu'il a pu
Qu'importe
si chemin faisant vous allez m'abandonner comme une hypothèse
J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on
sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai
ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur
ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout
haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre