Au moment où certains tentent d’opposer les deux termes croissance et développement durable, la CCIP souhaite prendre le contre pied de la vision malthusienne et pessimiste ” selon laquelle nous sommes en train d’entrer dans un monde fini ” et d’insister sur la nécessité d’une nouvelle croissance durable « vertueuse », réelle et intergénérationnelle. Elle doit s’inscrire dans une logique de long terme et il faut accepter de regarder les choses autrement et l’idée qu’elles puissent être différentes et qu’il y ait rupture avec les fondements de la société d’aujourd’hui qui reposent sur des règles du jeu le plus souvent court-termistes.
Redéfinir les contours du modèle économique actuel est un préalable nécessaire car il conduit de par sa linéarité à épuiser les ressources naturelles fossiles tout en générant en fin de circuit des déchets et de la pollution, nuisibles collectivement. Comme le montrait le rapport STERN, le coût de l’inaction se traduirait par une perte de PIB bien supérieure et finirait par menacer sérieusement la croissance mondiale. C’est donc un nouveau modèle économique, et même un nouveau mode de développement qu’il nous faut inventer où la croissance serait non pas freinée mais découplée de la consommation des ressources naturelles. Seules les ruptures technologiques sont capables de permettre une telle mutation. A partir du moment où la logique de la demande est une évidence dans l’approche industrielle en réponse aux nouveaux modes comportementaux qu’affectionne la société de consommation (rapport privilégié au temps immédiat via Internet, recentrage de la valeur d’un produit autour de son usage), il est nécessaire de la coupler avec une approche à moyen terme ne privilégiant plus une référence permanente au prix du marché. Une économie centrée sur l’utilité plus que sur la propriété du bien ,une économie « circulaire » supposera nécessairement des rapports différents entre fournisseurs et clients comme entre distributeurs et producteurs.
De même, il ne s’agit de ne plus créer de la richesse qui aurait la même résonance qu’avant la crise (au strict sens financier), mais bien une nouvelle richesse intégrant aussi une dimension immatérielle : la connaissance, le lien social etc… C’est bien un nouveau cadre sociétal qu’il convient de définir entre l’entreprise et ses parties prenantes qui intègre la sensibilité accrue aux risques réels ou imaginés et aux grandes peurs du XXIème siècle (allant jusqu’à la peur de l’autre) amplifiées par les medias et internet. Si le risque est par essence inhérent à la nature humaine, il est davantage présent au cœur des préoccupations individuelles et du débat public en raison d’une prise de conscience et d’une médiatisation accrues des incertitudes environnementales, sanitaires, alimentaires, ou encore médicales. Si cette nouvelle sensibilité aux risques subis, choisis et acceptés est source d’innovation, elle oblige les autorités publiques comme les entreprises à adapter le principe de précaution dans leurs politiques et stratégies de développement voire à le remettre en cause. Quelle frontière alors entre le champ d’utilité publique, économique et sociale ?De même quel doit être le risque utile ?
Enfin parce que les questions environnementales ne connaissant pas de frontières (surtout le défi climatique !), nous avons besoin d’adapter le cadre institutionnel européen voire international aux nouvelles logiques concurrentielles induites par le développement durable. Quelles approches privilégier ? Faut-il aller vers davantage de pragmatisme et d’expérimentation, pratiques empreintes du droit anglo-saxon au détriment du droit latin ? Mettons fin à une approche d’appauvrissement collectif qui ne conjugue pas concurrence et politique commerciale. La protection du consommateur par le prix n’est plus la solution, car le consommateur est aussi producteur. Les contraintes environnementales qui vont peser sur les produits ne sont pas prises en compte dans l’approche européenne en matière de compétitivité. A cet égard, par exemple, le bilan carbone indispensable dans le contexte ne doit pas être un handicap compétitif des entreprises européennes.
Cette nouvelle croissance durable, il nous faut l’inventer ! Approche globale et systématique nécessaire qui combine à la fois de l’éducation - pour un apprentissage intergénérationnel au développement durable-, de l’innovation, de « l’impertinence économique » - pour de nouveaux modes de gestion - et du politique, pour une régulation a minima garantissant des conditions saines et équitables de concurrence.
Cette croissance durable reposera sur la conjugaison harmonieuse entre l’utilité, le risque et les ruptures technologiques sachant que l’agilité des entreprises à anticiper sera une condition nécessaire mais pas suffisante, seule la volonté de l’entreprise et de ses partenaires jouant ce rôle.
Une réflexion collective associant chefs d’entreprises, experts économiques et juridiques ainsi qu’enseignants de nos Ecoles ,a été engagée par la CCIP ; une première (et importante) contribution est consultable ici