Le texte entier tourne en fait autour d'une absence, celle du père, buveur, coureur de filles, qui s'est enfui quand le fils avait deux ans et a définitivement disparu depuis, absence contre quoi Michon écrit. Les autres absences du livre, nombreuses, tournent autour de celle-là, et la rejouent. Cette disparition du père lui sert d'ailleurs à s'identifier à Rimbaud: même abandon, même amour de la langue, et dès lors attente du génie.
Car Michon ne considère pas l'écriture comme un travail mais comme une révélation. Dans tout le livre, qui est aussi sa genèse d'écrivain, il attend que la Grâce arrive, que Quelqu'un ou Quelque chose lui dicte un texte génial, quoiqu'il se sente indigne. La littérature c'est le sacré: prières en forme de lectures, imitation des saints, surtout de Rimbaud, comme qui il faut se faire voyant par l'abus des liquides et des drogues. Et quand on a bien mérité: révélation, génie, textes! Puis l'argent, la gloire, les femmes.
Pierre Michon a, dit-il de lui-même, beaucoup de vanité mais pas beaucoup d'orgueil. Il n'hésite pas à se peindre sous les couleurs les plus noires: soulard, retors, profiteur, ignoble avec les femmes qu'il a aimées. C'est encore se vanter un peu, sans doute, et mériter de la littérature par la bohème et la crapule. Mais c'est aussi montrer que la reconnaissance qu'il envisage n'est pas sociale. Qu'importe son ignominie si elle donne de beaux textes.
Ceux de Vies minuscules le sont. Pierre Michon, ce n'est pas de la flûte (elle, elle est traditionnellement attribuée à Chateaubriand). Pas les nappes de piano proustiennes, ni la chansonnette célinienne. On parlerait plutôt pour définir son style de cymbales et de trompettes. Ça éclate, c'est sonore, processionnel, solennel, chamarré. C'est régi par le passé simple et l'imparfait du subjonctif. Le vocabulaire est soutenu et un peu désuet, les références très cultivées. Ça pourrait être un peu guindé et ridicule s'il y avait moins de maîtrise. C'est somptueux.
Pierre Michon, Vies minuscules, Folio