Vous l’avez sûrement remarqué, j’aime énormément les livres jeunesse. Je les aime pour les offrir en lecture à mon fils. Je les aime pour la dose d’imaginaire qu’ils égrainent. Je les aime pour leur rôle de support à l’émotion mais aussi à l’apprentissage de la vie.
J’en achète beaucoup, beaucoup.
J’ai des coups de cœur aussi. Des coups de cœur d’adulte, des coups de cœur de sensibilité, des coups de cœur pour un « objet » complet, un livre que je crois indémodable. « Le maître de tout » de Baert MOEYAERT et illustré par Katrien MATTHYS fait parti de ceux-là.
©Baert MOEYAERT et Katrien MATTHYS/ Du Rouergue
Je l’ai acheté pour deux raisons infimes mais suffisantes. C’est un livre à lire à la lampe de poche, fait de noir et blanc fluo (vous savez ce blanc jaune fluorescent), il propose des histoires en plein jour et des histoires la nuit. Et ce chat taquin ressemble tellement à mon imaginaire du chat du Chester rencontré par Alice dans l’œuvre de Lewis CARROLL. Non, non il ne sourit pas, il n’a pas ses yeux ronds mais la « perfidie » enfantine y est.
Je l’ai lu et relu pour encore d’autres raisons.
©Baert MOEYAERT et Katrien MATTHYS/ Du Rouergue
Le chat, petit solitaire, empêcheur de tourner en rond, nargue un chien tenu en laisse à un arbre. Il va le titiller et mettre ses valeurs à mal : être attaché et attendre.
« - Mais la situation n’est-elle pas différente cette fois ? lui demande le chat.
- Non, répond le chien. Tu ne crois pas ?
- Aucune idée, dit le chat. Attendre, c’est attendre, mais cette fois, ce n’est pas pareil. Ici, tu ne peux pas changer de position comme tu veux, la corde est trop courte. Tu sens la différence ?
- Que veux-tu dire ? demande le chien.Il arrête un moment de haleter, une pensée surgit dans sa tête avant de disparaître immédiatement ; néanmoins, il en est tout décontenancé. C’est la première fois qu’une idée surgit dans sa tête pour aussitôt disparaître. »
Le chenapan va aussi pérorer devant d’autres animaux de son entourage pour connaître leur position sur la liberté. Trois personnages en plus du héros, le chat, reviennent au cours de ces petites histoires qui peuvent se lire à la suite, celles de jours suivies de celles de nuit, une de jour suivie d’une de nuit ou complètement indépendamment : le chien, la chouette et le renard. Avec les 14 fables, le jour ou la nuit, nous voyons défiler les journées, les manières d’être, les dépendances et les caractères.
Le chien hurle à la mort attaché à un arbre et attend, naïvement, que son maître vienne le chercher : sa dépendance, son manque d’initiative ou même d’instinct de survie. Il a prôné le maître de tout, son maître, à la place d’un dieu. Le renard, rusé, est pris au piège de la réflexion : qu’est-ce qui le distingue du chat ou du chien ? La chouette taquinée devient taquine.
©Baert MOEYAERT et Katrien MATTHYS/ Du Rouergue
Les souris sont désespérées d’être au menu du chasseur. La liberté du papillon est de se perdre, de tourner en rond, de ne jamais aller en ligne droite. Les lucioles au besoin d’attraction. Le coq et la poule idiots.
Le chat est en fait piqué au vif. Qui donc est le maître de tout ? N’est-il pas son propre maître ?
©Baert MOEYAERT et Katrien MATTHYS/ Du Rouergue
Ce bestiaire propose les travers des animaux, des hommes : le narcissisme, la dépendance, l’envie d’originalité, la liberté au détriment de celle des autres etc.
Les illustrations de Katrien MATTHYS sont extrêmement stylisées. Le jour, les ombres chinoises sont impeccables d’attitude, de « férocité », les images sont presque épurées. La nuit, les ombres prennent des dimensions importantes, déformations, hallucinations. Les traits typiques de chaque animal deviennent une cicatrice, un squelette, la nuit… Impressionnant, stupéfiant.
Ainsi les enfants, accompagnés dans leur lecture pour le plus jeune âge, se confrontent à la peur du noir, aux ombres grimaçantes. La « technique de lecture » à la lampe de poche augmente cet aspect. Il est juste à déplorer que les rabats et les petits papiers de soie pour ne pas abimer la texture fluorescente des pages intérieur (de nuit) rendent le tournage des pages difficile.
4/24