Ce que je trouve plus fort, c'est ce dégoût du hasard, ce fantasme de la compétition égalitaire, cette haine de la vie... Le slogan, c'est "La médaille aux médaillables". La médaille, c'est un dû pour le médaillable, que les bougnoules de seconds couteaux ne méritent pas de recevoir. Un favori, ça doit gagner. Sinon, rendez-vous compte les conséquences... Oh ! non, pas sportives, qu'allez-vous imaginer petits coquins ? non ! pensez plutôt aux sponsors - combien vont-ils perdre ? aux médias - combien vont-ils perdre ? On entend : ce sont les JO, ça doit être la compétition la plus égalitaire, par Toutatis ! Je croyais, moi, que c'était la compétition où l'essentiel est de participer. Bah... J'ai du mal comprendre. Au temps pour moi. Au fait... médaillable n'existe pas au dictionnaire... je propose donc son abolition du sens commun.
Et le fait est que le sport en général subit cette Réaction anti-hasard. Il faut absolument réduire l'incertitude et que les meilleurs soient les meilleurs. Les compétitions par poule, par exemple, servent à cela. Un gros peut avoir un accident contre un petit, mais pas deux, pas trois. L'égalité c'est : le plus riche gagne. Parmi les innombrables causes d'agacement que Federer suscite en moi, la principale est l'atteinte qu'il porte au hasard. Son fameux record (hallucinant en effet) de 1/2-finales de grand chelem consécutives l'atteste. D'accord, on n'a jamais vu un tel champion, mais les instances ne sont pas étrangères à cela non plus, en réduisant sans cesse davantage les écarts entre les surfaces : du gazon et des surfaces rapides indoor il n'y en a plus, ou alors, on y joue comme à Roland Garros, à quelques nuances près.
Pourtant, c'est le hasard seul qui rend la compétition digne d'intérêt... mais pas d'intérêts... La tragédie du monde contemporain dans un pluriel. Ce qui est aléatoire, absurde, illogique, anormal, vivant quoi... est repoussé par exorcistes armés jusqu'aux dents de tous les accessoires qu'ils jugent adéquats : vade retro satanas. Qui a écrit que nous étions dans un monde de morts-vivants ?