Alice au Pays des Merveilles (Alice in Wonderland) de Tim Burton

Par Geouf

USA, 2010
Réalisation: Tim Burton
Scénario: Linda Woolverton
Avec: Mia Wasikowska, Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Anne Hattaway, Crispin Glover, Alan Rickman

Résumé: La petite Alice a bien grandi. Treize ans après ses aventures au Pays des Merveilles, et persuadée que tout ceci n’était qu’un rêve, elle est désormais une belle jeune femme. Pressée par sa mère d’épouser un Lord dont elle n’est pas amoureuse afin d’assurer son avenir, Alice s’enfuit lors de ses fiançailles, suivant un mystérieux lapin blanc. Elle se retrouve de nouveau projetée dans le Pays des Merveilles, toujours persuadée qu’il s’agit d’un rêve. Il va lui falloir réaliser que cet univers étrange existe vraiment si elle veut le libérer du joug de la Reine de Cœur…

 

A priori, l’implication de Tim Burton à la barre de cette suite tardive du fameux dessin animé de Disney ne pouvait qu’être une bonne idée. Qui de mieux en effet que le réalisateur amoureux des freaks pour plonger les spectateurs dans l’univers déjanté de Lewis Carroll. Mais c’était sans compter que depuis quelques années Tim Burton n’a pas réalisé un seul film potable, reniant petit à petit tout ce qui faisait son style. Et cet Alice pourrait bien être le dernier clou dans le cercueil du génie artistique de Burton…

Le film démarre sur une idée similaire à celle du Hook de Steven Spielberg. A l’instar du Peter Pan vieillissant incarné par Robin Williams, Alice a tout oublié du Pays des Merveilles et est persuadée que ses aventures de jeunesse ne sont que des inventions de son esprit. Le principal enjeu du film va donc être pour elle de réaliser que le pays dans lequel elle se retrouve est bien réel. Une idée pas mauvaise en soi, pouvant donner lieu à un classique récit initiatique, mais qui peine à être crédible à l’écran. En effet, Alice, contrairement à Peter Pan, n’a aucun pouvoir à retrouver, et ne change pas fondamentalement du début à la fin du film. A vrai dire, la seule évolution du personnage, c’est qu’en bout de film, elle arrête de répéter toutes les cinq minutes qu’elle est en train de rêver et que rien ne pourra lui arriver. D’où un cruel manque d’enjeu pour que l’on s’intéresse à ce qui se passe à l’écran.

Mais le plus dommageable reste finalement la trame générale de l’histoire. Il est bien connu que le roman de Carroll pouvait être interprété comme un gigantesque trip hallucinogène sous l’influence de divers drogues, ce que le long métrage de Disney parvenait à parfaitement rendre, malgré le fait que celui-ci ne raconte au final pas grand-chose. L’erreur majeure de cette nouvelle version, c’est justement d’essayer de donner une cohérence à l’ensemble et de raconter une vraie histoire. Alice apprend donc qu’elle a été ramenée au Pays des Merveilles pour accomplir une prophétie au cours de laquelle elle doit tuer le Jabberwocky et libérer le monde de l’emprise de la Reine de Cœur. Ça vous rappelle quelque chose ? Et oui, le scénariste bidule ne s’est pas foulé et a repris quasiment intégralement le scénario du premier Narnia, tentant de faire rentrer l’univers de Carroll dans ce moule formaté. On retrouve donc une vilaine reine qui élimine les créatures fantastiques, un affrontement « dantesque » entre deux armées en fin de film, une Alice en armure, et même une souris avec une épée. Le problème, c’est que cela ne marche absolument pas. La plupart des personnages du livre sont présents, on retrouve certaines péripéties du film original (la potion qui rétrécit et le gâteau qui fait grandir), mais tout ceci est plus à l’état de clins d’œil qu’autre chose (comme la présence furtive des fleurs qui parlent). Le chat du Cheshire ne sert à rien, la chenille bleue non plus (à part annoncer avec la voix sentencieuse d’Alan Rickman qu’Alice n’est pas encore Alice), Tweedledee et Tweedledum ne sont pas plus utiles, la Reine Blanche (Anne Hattaway) et la Reine de Cœur (Helena Bonham Carter) sont exaspérantes à souhait (la première avec ses poses minaudes et la seconde avec ses cris hystériques la rendant plus ridicules qu’effrayante). Le Chapelier Fou se retrouve quant à lui avec un rôle démesuré à cause de l’implication de Johnny Depp, sans que cela soit plus crédible (il passe d’un extrême à l’autre, soit totalement fou et balbutiant, soit trop posé et sûr de lui pour que ce soit réaliste). Et l’idée de lui donner un passé et d’expliquer sa folie est peut-être une des pires du film (avec la danse finale du personnage, absolument insupportable et ridicule). Ce qui manque en fait cruellement au film, c’est la folie des œuvres originales. On la retrouve sporadiquement (au travers du personnage du Lièvre de Mars, un des rares plutôt réussis), mais elle ne contamine jamais ce film qui au final ne se démarque jamais des autres longs-métrages de fantasy sortis ces dernières années.

Mais ce qui est peut-être le plus triste pour les fans de Tim Burton, c’est que cet Alice au Pays des Merveilles se révèle assez souvent raté visuellement, voire carrément moche. On hallucine devant la pauvreté des décors (en gros au nombre de quatre : la forêt et la table du Chapelier, le château de la Reine de Cœur, celui de la Reine Blanche, et l’échiquier de la toute molle bataille finale) et surtout devant le manque de vie de l’ensemble : tout fait faux et vide, désincarné. Quant aux effets spéciaux, ils oscillent entre le correct (le Lièvre de Mars, Tweedledee et Tweedledum) et le carrément raté (le chien Bayard et la bestiole blanche pleine de dents qu’on croirait sortis de Shrek), voire le hideux (le jabberwocky). On imagine que l’aspect cartoon des personnages est un choix artistique plus qu’un manque d’attention (du moins on l’espère), mais combiné avec les personnages maquillés, cela ne fonctionne absolument pas. Pire encore, Tim Burton semble avoir renoncé totalement à imposer sa patte sur le design des personnages. Mis à part la Reine de Cœur et sa tête surdimensionnée et le Chapelier Fou et ses cheveux oranges combinés à des yeux verts, tous les personnages ressemblent quasi trait pour trait à ceux du film de 1951 (et non, changer la couleur du chat de violet à bleu et celle des cartes de blanc à rouge, ce n’est pas modifier un design). Toutefois, quelques idées réussissent à surprendre (les cochons repose-pieds, la relation entre le chevalier rouge et la Reine de Cœur) ou à retrouver l’ambiance inquiétante de l’œuvre originale (la traversée des douves du château de la Reine de Cœur sur les têtes coupées). Mais c’est assez rare et dilué dans des tonnes de consensuel. Enfin, la 3D tant vantée par les affiches du film n’apporte absolument rien, Alice au Pays des Merveilles faisant partie de ces films qui ont été convertis en 3D après avoir été tourné, et donc absolument pas pensés en ces termes à la base. La 3D n’apporte ici ni profondeur de champ, ni même de « scènes gadgets » avec des objets sautant au visage des spectateurs. Et malheureusement, cette liste de films s’allonge de jour en jour, histoire de piquer un peu plus d’argent aux spectateurs les plus crédules.

Tim Burton a quitté les studios Disney au début de sa carrière parce que ses idées fantasques et morbides ne collaient pas avec les valeurs du studio aux grandes oreilles. Il lui aura au final fallu quasiment 20 ans pour changer et enfin rentrer dans le moule (le cercueil ?) prévu pour lui et revenir au bercail. Avec Alice au Pays des Merveilles, la boucle est définitivement bouclée (sic).

Note : 4/10

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