Il n'en restait qu'un, et voilà que par un froid début d'après midi il s'en est allé rejoindre les autres, ceux qui ont chanté la révolte et l'insoumission, Brel, Ferré, Brassens et quelques autres, ceux qui ont été les portes étendards d'une France qu'on aimait, une France aujourd'hui, elle aussi, disparue.
Lui, Jean Ferrat, avait décidé de se retirer de la vie publique. Il détestait plus que tout les paillettes et le monde des media, tout ce à quoi s'accrochent comme des morpions les petites vedettes formatées d'aujourd'hui grâce à tous les moutons abrutis qui se calent devant leur télé pour gober leurs niaiseries du moment que ça fait la Une des pipolo-magazines.
Ces hommes-là ne venaient que très rarement sur des plateaux, quand ils s'y rendaient c'était pour chanter, un point c'est tout. À part peut-être Jacques Brel, ils n'aimaient pas beaucoup non plus la scène. Ils préféraient ciseler leur textes pour le vinyl. Il faut pour s'en convaincre les écouter, laconiques, embarrassés, timides, quand parfois ils acceptaient une interview.
N'en déplaise au monde petit-bourgeois qui les détestait tant, ces "grands" laisseront une marque indélébile dans l'histoire de la chanson et de la poésie française.
Le grand Jacques, écorché vif qui maniait les mots comme des saillies sauvages au rythme de ses grands bras agités,
L'ébouriffé Léo l'anarchiste qui crachait ses textes au vitriol velours et les criait de son regard ironique,
Le Georges si peinard, mais qui traversait en dehors des clous en faisant un bras d'honneur à la maréchaussée,
Et enfin Jean, le poète de l'Ardèche, qui avec sa voix chaude savait si bien chanter les petites gens, l'amour, la nature (écolo avant l'heure) et les douleurs du monde, ou encore mettre en musique les textes magnifiques d'Aragon.
Qui sont ceux qui, aujourd'hui, au milieu de la bouillie musicale aux textes insipides, laisseront une telle trace dans la poésie rebelle ? Cantat, Thiéfaine, Manset, Higelin, Renaud ? L'avenir le dira au regard de ce qu'ils laisseront à la postérité...
C'est au regard de ces ciseleurs de textes que l'on peut mesurer l'immensité qui les sépare de la chanson formatée marketing d'aujourd'hui.
The Lynx