A-t-on le droit de parler d’un film qu’on n’a pas vu ? Oui, à condition d’en parler en précisant qu’on ne l’a pas vu, ce qui est mon cas pour La rafle de Roselyne Bosch. Et d’expliquer pourquoi je n’ai pas l’intention de le voir.
La première raison, et la plus importante à mes yeux, vient du nom de la réalisatrice. Cela relève de la provocation antisémite la plus pure. Roselyne tout d’abord, pour bien noter le fait que c’est Bousquet, ami de Mitterrand (l’homme de la rose) qui a organisé cette rafle. J’ai l’intime conviction que Bousquet apparaît dans chaque plan, chaque image du film, pour parler une énième fois de la complicité implicite de notre tonton à nous, de notre petit père du peuple, de celui qui s’est sacrifié pour nous, le seul homme d’Etat que la France ait jamais compté, n’ayons pas peur des mots.
Bosch ensuite, du sobriquet donné aux nazis par les Français pendant l’Occupation et longtemps après comme chacun sait. Il est évident que la réalisatrice a pris un pseudonyme pour ce film, et vraiment, ce mauvais goût devrait être interdit par la loi, et pourtant je suis loin d’être pour la judiciarisation du débat (même si les 34 procès intentés à Dieudonné me semblent largement insuffisants, d’autant qu’il les a quasiment tous gagnés, ce qui démontre bien que notre justice est antisémite, je ferme la parenthèse car cela vous le savez sans doute déjà – à moins que vous ne soyez vous-mêmes antisémite, ce qui ne m’étonnerait pas plus que cela vu l’état de la France actuelle). Et si c’est son véritable nom, c’est encore plus grave, car le minimum quand on traite de ce genre de sujet est de prendre un nom pour le moins approprié, je ne demande pas qu’elle se soit appelée Rosenbaum, mais au moins Blumenthal, ou au pire Cohen-Lévy, plus commun, plus passe-partout. Mais il faut croire que c’était trop demander.
La seconde raison, encore plus importante que la précédente, vient du titre du film. C’est une banalisation outrancière, oui, outrancière, je pèse mes mots, des véritables rafles qui ont lieu quotidiennement dans la France sarkozyste à l’encontre des sans-papiers (pas clandestins, comme voudraient me le faire dire des réactionnaires pétanisto-fascisto-nazisto-hitléristes, mais sans-papiers, comme il y a des sans domicile fixe, des sans abris – ce qui n’a rien à voir vous en conviendrez – et des sans emplois). N’ayant pas vu le film j’ignore si le mot déportation y est employé, mais je le suppute, et si c’est le cas alors le scandale est encore plus grand, car ce sont les sans-papiers qu’on déporte et je ne saurais laisser un film banaliser ce terme pourtant si lourd de sous-entendus et de hurlements désespérés.
La troisième raison, qui est loin d’être la moins importante, vient du thème dont le film traite : la Shoah. Certes, l’effort est louable, le CNC ne finançant jamais ce genre de films, raison pour laquelle on en voit si peu sur le sujet. Mais mes compliments vont s’arrêter là, car le mot Shoah ne figure ni dans le titre, ni sur l’affiche du film, et cela, je suis désolé de le dire comme je le pense, relève du négationnisme implicite le plus pur et le plus simple. J’emploie volontairement la formule si forte et nuancée de Meïr Waintrater, peu soupçonnable d’antisémitisme (quoique, je me suis déjà posé une ou deux fois la question, mais peu importe ici, je pourrais faire un autre article plus tard sur lui), puisque directeur de la rédaction de l’Arche, à propos d’une chanson de Jean Ferrat, Nuit et Brouillard. Puisque le chanteur vient de mourir à l’âge de 79 ans (bien plus âgé que la plupart des déportés donc, encore une manifestation d’antisémitisme de sa part, mais ne crachons pas sur le cadavre encore chaud d’un mort, j’ai un minimum de respect tout de même, y compris pour ce que j’exècre), je reproduis ici l’échange entre les deux hommes qui date de 2005 :
« À l'occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, notre confrère Nouvelles d'Arménie Magazine (NAM) a publié dans son numéro de janvier 2005 un dossier sur la Shoah. Ce dossier contenait une longue interview de Meïr Waintrater, directeur de la rédaction de L'Arche. Au cours de cette interview, Meïr Waintrater évoque le silence qui entoura longtemps la réalité spécifique de la Shoah :
M. W. : Je vais vous donner un exemple qui m'a frappé. La chanson Nuit et brouillard décrit les victimes [comme] des gens qui sont dans des «wagons plombés », et dit :
« Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel,
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou
D'autres ne priaient pas mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux. »
Les deux derniers vers évoquent les résistants, essentiellement les résistants communistes puisque c'était la mouvance à laquelle appartenait Jean Ferrat. Dans les deux premiers vers, «Natacha » fait référence à l'Union soviétique. « Jean-Pierre », on comprend aussi. Le seul moment où l'identité juive apparaît est dans « Samuel » et [dans] « Jéhovah ». Quant à « Vishnou », on suppose que c'était pour faire la rime. Aujourd'hui, un tel texte serait attaqué pour négationnisme implicite. Pourtant, je me souviens que j'étais à l'époque très content de cette chanson et [que] ma génération l'a accueillie avec soulagement. On avait le sentiment que l'on reconnaissait quelque chose implicitement, même si cela restait très marginal.
NAM : Que faut-il en déduire ?
M. W. : Que Jean Ferrat lui-même, en tant que Français communisant, et bien que de père juif, avait intériorisé la minoration de la persécution des Juifs - alors même que son propre père est mort en camp d'extermination... »[1]
On ne saurait mieux dire en effet. Ce pauvre Jean Ferrat, qui était déjà proche de la mort, lui avait répondu que son avis relevait de la psychiatrie, et je suis à peu près persuadé que les réactions à cet article seront du même ordre mais je n’ai de leçons à recevoir d’aucun antisémite ni d’aucun négationniste, qu’il soit chanteur ou danseur d’ailleurs m’importe guère. Je pense en effet que Mme Bosch, si tel est son vrai nom (sic), souffre du même mal que feu M. Ferrat, et c’est bien triste qu’en France on laisse ce fléau qu’est le négationnisme (même implicite) se développer. A quoi bon voter une loi humaniste, respectueuse des libertés et qui fait rentrer la vérité historique dans la tête des gens, la loi Gayssot, si elle n’est pas appliquée ? Que fait la police ? Faut-il faire passer par décret et sans passer par le Conseil Constitutionnel une nouvelle loi qui encadre le négationnisme implicite ? J’y suis pour ma part favorable quand je vois le genre de dérives qui ont lieu dans mon pays.
Enfin, dernière raison pour laquelle je n’irai pas voir ce film, et certainement la plus importante après la seconde raison, mais un peu moins importante que la troisième raison, c’est que des rôles de juifs ont été attribués à des non-juifs, et des rôles de non-juifs ont été attribués à des juifs. Je ne ferai pas de liste, évidemment, puisqu’il s’agit là d’une pratique antisémite (quelle que soit la liste, même la liste Schindler, petit tacle au passage pour Spielberg qui n’a de juif que le nom, raison pour laquelle il ne fait pas sortir de gaz des douches comme l'avait si bien remarqué une de mes idoles ,Thierry Ardisson), mais il suffit de regarder le casting pour s’en rendre compte. Et tout comme Claude Ribbe et bien d’autres se scandalisaient à si juste titre du fait que le rôle d’Alexandre Dumas soit confié à un blanc, alors qu’il était noir, et le rôle de son nègre à un blanc, alors qu’il était blanc, enfin rose si on veut être précis, je pense que la Shoah n’a pas permis de faire tirer à la France, d’où est née l’idéologie française comme le dit si bien ce cher Bernard-Henri Lévy (que je trouve personnellement aussi beau qu’intelligent, que ferions-nous sans lui), les véritables leçons de son passé. Et ce genre de film dont je n’ose même pas rappeler le titre est une nouvelle pierre des futures chambres à gaz qui ne manqueront pas d’être construites dans les années à venir par les néo-nazis qui ne manqueront pas de réapparaître à la première occasion venue. Pour employer une expression que je n’entends que trop peu à mon goût, et notamment dans les médias qui sont aux mains du lobby hitléro-réactionnaro-fascisto-nazi, « le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. »
N’allez pas voir ce film, faites comme moi, résistez !
Jean Robin, 13 mars 2010
[1] Extrait de L’Arche n°563-564, mars-avril 2005, L’Arche, le mensuel du judaïsme français